Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/270

Cette page a été validée par deux contributeurs.

échappé ; ce que c’est que la force de l’habitude, quand elle remonte à des jours à jamais envolés ; cela est si vrai que, bien souvent, au milieu de la nuit silencieuse, avant que le sommeil ait enveloppé les gens, la mémoire fidèle réveille dans leur esprit la joie des jours passés[1]… oui, c’est très poli de votre part, mais plus poli que sincère, je le crains, car d’aller vous mettre dans les machines et la fonderie sans seulement envoyer une ligne ou une carte à papa… je ne parle pas de moi, quoiqu’il y ait eu un temps où… mais ce temps-là n’est plus, et la triste réalité a… miséricorde ! voilà que je recommence, ne faites pas attention… mais enfin cela a bien l’air d’un oubli de votre part, vous l’avouerez. »

Les virgules mêmes de Flora paraissaient avoir pris la fuite à cette occasion, pour l’éviter plus vite ; car son style oratoire était encore plus décousu et plus rapide que lors de la précédente entrevue.

« Et pourtant, continua-t-elle avec volubilité, on ne devait pas s’attendre à autre chose, et pourquoi s’attendrait-on à autre chose, pourquoi en serait-il autrement ? Je sais bien que pour moi je suis loin de vous blâmer, loin de blâmer qui que ce soit, lorsque votre maman et mon papa nous ont tant tourmentés et ont brisé la corde… je veux dire le lien doré ; mais vous savez aussi bien que moi ce que je veux dire, et si vous ne le savez pas, vous ne perdez pas grand’chose, et j’oserais même ajouter que cela vous est bien égal… lorsqu’ils ont brisé le lien doré qui nous unissait et nous ont jetés dans des accès de fièvres convulsives, sur le canapé, presque étouffés… du moins en ce qui me concerne, tout fut changé, et lorsque j’ai accepté la main de M. F… je sais bien que je l’ai fait les yeux ouverts, mais il était si tourmenté et si triste, qu’il a fait dans son égarement des allusions à la Tamise et à une huile de quelque chose qu’il irait prendre chez le pharmacien : j’ai donc fait pour le mieux…

— Ma bonne Flora, nous sommes déjà convenus de cela. Vous avez très bien fait.

— Il est parfaitement clair que vous en êtes convaincu, répliqua Flora, car vous prenez la chose si froidement, que si je n’avais pas su que vous étiez allé en Chine, j’aurais cru que vous reveniez plutôt des régions polaires ; cher monsieur Clennam, vous avez raison après tout, je ne puis vous blâmer, mais, pour en revenir à Doyce et Clennam, comme les propriétés de papa se trouvent par ici, nous avons tout appris par Pancks, car sans lui nous n’en aurions jamais su un mot, j’en suis persuadée.

— Non, non, ne dites pas cela.

— Ce serait une faiblesse de ne pas le dire, Arthur… Doyce et Clennam (j’aime mieux ça : cela coule plus facilement et froisse

  1. Ici Mme Finching intercale dans sa conversation, avec quelques variantes, une pensée empruntée à une chanson de Thomas Moore.
    (Note du traducteur.)