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d’affaires ne pouvaient tarder à découvrir certaines petites excentricités dans la façon dont M. Doyce tenait ses comptes, mais elles impliquaient toutes quelque manière ingénieuse de simplifier ou d’abréger un calcul difficile. On voyait aussi qu’il y avait un arriéré de besogne et que Doyce avait en effet besoin de quelqu’un pour l’aider à donner plus de développement à ses affaires ; mais le résultat de chacune de ses entreprises depuis un grand nombre d’années était clairement indiqué et facile à établir. On n’avait rien fait en prévision du présent examen ; tous les comptes se montraient dans leur simplicité, en habit de travail, et dans un ordre brut, qui dénotait une probité de premier jet. L’écriture des nombreux calculs et des nombreuses entrées (c’était celle de Doyce) aurait pu être plus belle, et peut-être aurait-on pu désirer un peu plus de précision dans la forme ; mais tout était aussi clair que possible et allait droit au but. Arthur pensa que bien des travaux beaucoup mieux élaborés pour faire de l’effet (tels par exemple que les registres du ministère des Circonlocutions) étaient bien moins utiles, attendu qu’on s’appliquait avant tout à les rendre inintelligibles.

Au bout de trois ou quatre jours d’un examen assidu, Clennam possédait tous les renseignements essentiels. M. Meagles se trouvait toujours à portée, prêt à éclairer les endroits obscurs au moyen de la brillante petite lampe de sûreté qui faisait pendant à ses balances et à sa pelle. Ils convinrent entre eux de la somme qu’il serait juste d’offrir pour obtenir une part égale dans les affaires, puis M. Meagles décacheta un papier où Daniel Doyce avait fixé le chiffre auquel il l’évaluait lui-même ; ce chiffre était plutôt un peu moins élevé que celui de M. Meagles. De façon que lorsque Daniel revint, il trouva l’affaire pour ainsi dire conclue.

« Et je puis maintenant vous avouer, monsieur Clennam, dit-il avec une cordiale poignée de main, que j’aurais pu chercher un associé bien loin et bien longtemps sans en trouver un qui me convînt mieux.

— Et je puis en dire autant, répondu Clennam.

— Et je puis vous dire à tous les deux, ajouta M. Meagles, que les deux font la paire. Vous, Clennam, imposez-lui pour frein votre bon sens, et vous, Daniel, occupez-vous de la fonderie avec votre…

— Défaut de bon sens ? suggéra Daniel avec son calme sourire.

— Appelez-le comme cela, si vous voulez… mais enfin, de cette façon, chacun de vous sera la main droite de l’autre. Et sur ce, voici ma main droite que je vous tends à tous les deux en ma qualité d’homme pratique. »

L’association fut consommée en moins d’un mois. Elle ne laissait à Arthur comme fortune personnelle qu’une somme d’environ deux ou trois cents livres sterling ; mais elle lui ouvrait une carrière active et pleine d’avenir. Les trois amis dînèrent ensemble pour fêter cet heureux événement ; les ouvriers de la fabrique, avec leurs femmes et leurs enfants, eurent congé et furent du dîner ; la cour du Cœur-Saignant elle-même eut à dîner ce jour là et fut rassasiée de viande.