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régiment des gardes et étant habitué à se montrer à toutes les courses, dans toutes les promenades et dans tous les bals, par conséquent étant très connu, la Société fut satisfaite du beau-fils que lui donnait M. Merdle. Le banquier se fût trouvé heureux de payer plus cher encore un aussi heureux résultat, quoique ce jeune Sparkler, dont il faisait cadeau à la Société, fût pour lui un objet fort coûteux.

On donna un grand dîner dans l’établissement de Harley-Street, le soir même où la petite Dorrit commença à piquer les chemises neuves destinées au vieillard auprès duquel elle travaillait ; il y avait les grands seigneurs de la Cour et les grands seigneurs de la Bourse, les puissances de la Chambre des communes et celles de la Chambre des lords, les notabilités de la Magistrature et du Barreau, la fleur de l’Épiscopat et du Ministère des Finances, la crème de l’Armée et de la Marine, enfin des échantillons de tous les grands seigneurs et potentats qui nous font marcher dans ce bas monde, quand ils ne nous font pas trébucher.

« On me dit, remarqua une membre de l’Épiscopat à un membre de l’État-Major, que M. Merdle vient encore de faire un coup de bourse énorme ; on parle de cent mille livres sterling. »

L’État-Major avait entendu dire deux cents.

Un haut fonctionnaire de la Trésorerie dit qu’il avait entendu parler de trois cents.

Une notabilité du Barreau, jouant avec son binocle persuasif dit : « Je ne voudrais pas jurer que M. Merdle n’en ait pas gagné quatre ; c’est là un de ces heureux effets du calcul et des combinaisons dont il est difficile de deviner le résultat exact ; un de ces exemples, fort rarement donnés à notre siècle, d’une adresse intelligente jointe à un bonheur constant et à une hardiesse caractéristique. Mais voici mon collègue Bellows qui a plaidé dans cette grande affaire de la banque et qui sera peut-être à même de nous en dire davantage. Que pense notre collègue Bellows de ce nouveau succès de M. Merdle ? »

Notre collègue Bellows était en route pour faire sa révérence à la poitrine et n’eut que le temps de dire en passant qu’il avait entendu affirmer, avec une grande apparence de vérité, que M. Merdle n’avait pas réalisé moins d’un demi-million de livres sterling.

La notabilité maritime dit que M. Merdle était un homme prodigieux ; un haut fonctionnaire de la Trésorerie dit que M. Merdle représentait une nouvelle puissance dans le pays et qu’il pourrait acheter toute la Chambre des communes en bloc ; la fine fleur de l’Épiscopat dit qu’il était heureux de penser que toutes ces richesses tombaient dans la caisse d’un gentleman qui se montrait toujours disposé à défendre les intérêts de la Société.

M. Merdle lui-même n’apparaissait que fort tard, d’habitude, lors de ces réunions, comme il convient à un homme qui est encore retenu dans l’étreinte d’entreprises gigantesques, lorsque les autres hommes ont abandonné jusqu’au lendemain leurs mesquines occupations ; ce soir-là il arriva le dernier. Le haut fonctionnaire de la