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LA PETITE DORRIT


Pendant ce dialogue, la clarinette avait continué à se lamenter d’une façon très pathétique ; mais elle fut brusquement interrompue par Fanny, qui lui annonça qu’il était temps de partir, en fermant le chiffon de musique qu’il étudiait et en lui retirant la clarinette de la bouche.

La petite Dorrit les quitta devant la porte et se hâta de retourner à la prison de la Maréchaussée. La nuit y venait plus tôt qu’ailleurs, et en rentrant ce soir-là il sembla à la jeune fille qu’elle descendait dans un fossé profond. L’ombre du mur attristait tout ; elle attristait bien plus encore le vieillard en robe de chambre grise et en culotte de velours noir, qui tourna la tête vers la petite Dorrit lorsqu’elle entra dans la salle mal éclairée.

« Pourquoi ne m’attriste-t-elle pas aussi bien que les autres ? pensa la petite Dorrit, la main encore sur le bouton de la porte : Fanny avait peut-être raison après tout. »




CHAPITRE XXI.

La maladie de M. Merdle.


Quant à cette pompeuse habitation, l’hôtel Merdle de Harley-Street, Cavendish-Square, nul mur moins aristocratique que ceux des autres habitations pompeuses qui lui faisaient face n’avait le privilège d’y projeter son ombre. Aussi collet-monté que la société la plus difficile, les maisons opposées de Harley-Street gardaient leur décorum les unes envers les autres ; même les habitations et les habitants se ressemblaient tellement sous ce rapport qu’on voyait souvent les gens garder à table dans un dîner l’alignement naturel de leurs hôtels, en vis-à-vis, à l’ombre de leur propre grandeur, regardant leurs voisins de face avec la gravité impassible de leurs résidences respectives.

Tout le monde sait que, dans un dîner, les deux rangées de convives qui se piquent d’habiter telle ou telle rue ressemblent d’une manière frappante à la rue elle-même. Ces vingt maisons uniformes et sans caractère, qu’on aborde au moyen des mêmes marches monotones, toutes protégées par un grillage d’un modèle identique, ayant toutes le même appareil de sauvetage contre l’incendie, également impraticable, la tête garnie des mêmes meubles incommodes, avec de grands airs dont il n’y a rien à rabattre, qui donc ne les a pas retrouvées à table, dans un dîner ? Cette maison délabrée, cette maison prétendue gothique, cette maison revêtue de stuc, cette maison dont on a renouvelé la façade, celle du coin qui ne contient que des chambres anguleuses, cette autre aux stores