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« Eh bien ! Amy ? dit Fanny, imitant ses camarades, qu’allais-tu me dire ?

— Depuis que tu m’as raconté qu’une dame t’avait donné le bracelet que tu m’as montré, Fanny, je suis un peu inquiète, et je suis très désireuse d’en savoir davantage, si toutefois tu veux bien m’en confier davantage. »

« À vous, mesdames ! » dit le garçon à la casquette écossaise. « À vous, mes amours ! » dit le gentleman aux cheveux noirs. Toutes les demoiselles disparurent en un clin d’œil, et la musique et le bruit des pas dansants se firent entendre de nouveau.

La petite Dorrit s’assit sur une chaise dorée, l’esprit troublé par ces rapides interruptions. Sa sœur et les autres danseuses restèrent longtemps absentes ; et durant leur absence, une voix (qui paraissait être celle du gentleman aux cheveux noirs) accompagnait la musique avec des : « Un, deux, trois, quatre, cinq, six… allez ! Un, deux, trois, quatre, cinq, six… allez ! Attention, mes amours ! Un, deux, trois, quatre, cinq, six… allez ! » Enfin la voix se tut, et toutes les danseuses revinrent, plus ou moins essoufflées, s’enveloppant de leur châle et se préparant à partir.

« Attends un moment, Amy ; laissons-les passer devant nous, » dit Fanny à voix basse.

Elles se trouvèrent bientôt seules, et, dans l’intervalle, il n’arriva aucun incident important, si ce n’est que le garçon à la coiffure écossaise passa la tête derrière sa poutre, en criant : « Tout le monde à onze heures, demain, mesdames ! » et le gentleman aux cheveux noirs passa la sienne derrière sa poutre en disant ; « Tout le monde, demain, à onze heures, mes amours ! » chacun de son ton habituel.

Lorsqu’elles se trouvèrent seules, on débarrassa le plancher, et elles aperçurent devant elles un grand puits vide, dans les profondeurs duquel Fanny plongea les yeux en disant ; « Allons, mon oncle ! » La petite Dorrit, à mesure que ses yeux s’habituaient à l’obscurité, aperçut indistinctement le vieillard assis au fond du puits, tout seul dans un coin, avec son instrument et son étui déchiré sous le bras.

À voir là le vieillard, on pouvait croire qu’il avait d’abord occupé, dans des jours meilleurs, la galerie du haut, éclairée par des croisées qui, du moins, laissaient voir un petit échantillon de ciel, mais que, petit à petit, poussé par ses revers, il avait dégringolé jusqu’au fond de cette citerne. C’était là la place qu’il occupait six fois par semaine[1] depuis bien des années, ne levant jamais les yeux plus haut que son cahier de musique ; aussi, croyait-on généralement qu’il n’avait jamais vu jouer une pièce. Il circulait même des légendes qui pouvaient donner à penser que le vieux musicien ne connaissait pas seulement de vue les héros et les héroïnes

  1. On sait qu’en Angleterre les théâtres sont fermés le dimanche. (Note du traducteur.)