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tenait s’arrêta tout court, comme d’habitude ; et l’attention d’un détenu, qui était arrivé le samedi soir, fut stimulée par un coup de coude que lui donna un détenu plus ancien : « Regardez bien, c’est elle ! »

Elle voulait voir sa sœur ; mais lorsqu’elle arriva chez M. Cripples, elle apprit que Fanny et son oncle étaient déjà partis. Ayant prévu le cas, et décidé d’avance qu’elle chercherait à les rejoindre, la petite Dorrit se remit en route pour le théâtre, qui se trouvait de ce côté de la rivière, pas bien loin de là.

La petite Dorrit ne connaissait pas plus les dédales d’un théâtre que les galeries souterraines d’une mine d’or, et lorsqu’on lui indiqua une espèce de porte furtive qui avait un air tout débraillé, qui paraissait honteuse d’elle-même et prête à se cacher dans une allée, la jeune fille hésita à s’en approcher, intimidée d’ailleurs par la présence d’une demi-douzaine de gentlemen rasés de près, dont les chapeaux affectaient des poses hasardées, et qui flânaient autour de cette porte avec des airs qui lui rappelaient tout à fait les locataires de la Maréchaussée. Après réflexion, et rassurée par cette ressemblance, elle s’adressa à eux pour savoir où elle trouverait Mlle Dorrit : on s’écarta pour la laisser entrer dans un sombre vestibule (qui avait plutôt l’air d’une grande lanterne sans mèche que d’autre chose), où le bruit d’une musique éloignée et des pas légers de danseurs arrivaient jusqu’à elle. Un homme qui avait tellement besoin de prendre l’air qu’il semblait recouvert d’une couche bleuâtre de moisi, surveillait ce triste salon d’attente, du fond d’un trou percé dans quelque coin, comme une araignée ; il dit à la petite visiteuse qu’il enverrait un message à Mlle Dorrit par la première dame ou le premier gentleman qui viendrait à passer. La première dame qui vint à passer portait un rouleau de musique, dont une moitié se trouvait dans son manchon, l’autre moitié en dehors ; cette dame était tellement chiffonnée des pieds à la tête qu’une personne complaisante n’aurait pu la voir sans éprouver le besoin de mettre un fer au feu pour la repasser. Mais comme c’était une bonne fille : « Venez avec moi, dit-elle, je vous aurai bientôt trouvé Mlle Dorrit ! » et la sœur de Mlle Dorrit alla avec elle, se rapprochant, à chaque pas qu’elle faisait dans l’obscurité, de ce bruit de musique et de danse.

Enfin elles arrivèrent au beau milieu d’un nuage de poussière, où une quantité de gens se heurtaient sans cesse les uns contre les autres, et où il y avait un tel fouillis de poutres aux formes inexplicables, de cloisons de toile, de murs de briques, de cordes et de cylindres, un tel mélange de gaz et de jour naturel que, dans ce chaos, les deux jeunes femmes purent croire qu’elles voyaient un décor de l’univers à l’envers. La petite Dorrit, abandonnée à elle-même et bousculée à chaque instant par quelque passant affairé, commençait à perdre la tête, lorsqu’elle entendit la voix de sa sœur :

« Ah ! bon Dieu ! Amy, qu’est-ce qui t’amène ici ?