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avait un an de plus que la petite Dorrit, lui avait lancé des œillades d’admiration et de ravissement. Lorsque, plus tard, il avait joué avec elle dans la cour, son jeu favori avait consisté à faire semblant de l’emprisonner dans des coins, afin de recevoir des baisers réels pour faire semblant de la délivrer. Lorsqu’il était devenu assez grand pour regarder par le trou de la grande serrure de la porte principale, il avait plus d’une fois laissé dehors sur les marches le dîner ou le souper de son père, au risque de voir disparaître les comestibles, pour s’enrhumer un œil à force de contempler sa bien-aimée à travers cette perspective aérienne.

Si l’ardeur du jeune John s’était jamais ralentie aux jours moins impressionnables de son enfance, à cet âge où la jeunesse est encline à laisser traîner les cordons de ses brodequins sans prendre souci de ses organes digestifs, dont elle a le bonheur d’ignorer l’existence délicate, il s’était bientôt corrigé, et sa constance était devenue dès lors inébranlable. À dix-neuf ans, il avait inscrit sur cette partie du mur qui faisait face à la demeure d’Amy, à l’occasion de la fête de cette jeune personne :

« Sois la bienvenue, doux nourrisson des fées ! »

À vingt-trois ans, chaque dimanche, la même main offrait en tremblant des cigares au Père de la Maréchaussée, ou plutôt au père de la reine de son cœur.

Le jeune John était petit de taille, avec des jambes un peu faibles et des cheveux d’un blond très faible aussi. Un de ses yeux, peut-être celui qui avait eu l’habitude de regarder par le trou de la serrure, était faible comme le reste et paraissait plus grand que l’autre, comme un œil étonné qui cherche en vain à se remettre de sa surprise. Le jeune John avait aussi un caractère des plus doux. Ce qui ne l’empêchait pas de posséder une grande âme, poétique, expansive, fidèle.

Bien qu’en présence de la divinité de son cœur il fût trop humble pour espérer beaucoup, le jeune John avait examiné la question sous toutes ses faces. Amené par le raisonnement à une conclusion bienheureuse, il avait entrevu, malgré sa modestie, un mariage plein de convenance. Avec un peu de bonheur, l’union était possible. N’était-elle pas l’enfant de la Maréchaussée comme il en était le guichetier en herbe ? Voilà pour la convenance. John deviendrait gardien interne. Alors Amy hériterait officiellement de la chambre dont elle avait si longtemps payé le loyer : c’était encore bien agréable. De cette chambre on pouvait regarder par-dessus le mur d’enceinte, en se dressant sur la pointe des pieds, et avec un treillage garni de pois de senteur ou de haricots rouges, la fenêtre deviendrait un véritable bosquet. N’était-ce pas ravissant ? Puis, comme ils seraient tout l’un pour l’autre, il y avait même une grâce allégorique à se trouver renfermés ensemble dans la geôle. Séparés du monde (sauf de cette partie du monde dont la garde leur serait confiée), ne connaissant que par ouï dire les peines et les soucis du dehors et seulement par les récits des pèlerins qui se reposeraient