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ses parents avec la plus grande tendresse et pleurant sur l’épaule du papa.

Comme la pluie se mit à tomber vers la fin de la journée, il fallut bien garder la maison, admirer les collections de M. Meagles et causer pour tuer le temps. Ce Gowan avait toujours quelque chose à dire sur son propre compte, et il le disait d’une manière leste et amusante. Il avait l’air d’un artiste de profession, qui avait passé quelque temps à Rome ; et pourtant il avait le ton léger et insouciant d’un amateur. Il y avait quelque chose de louche dans sa vocation artistique et dans ses connaissances spéciales, qui faisait que Clennam ne savait trop qu’en dire.

Il appela Daniel Doyce à son secours, tandis qu’ils se tenaient ensemble auprès de la croisée.

« Vous connaissez M. Gowan ? demanda-t-il à voix basse.

— Je l’ai vu ici. Il vient tous les dimanches, lorsque la famille y habite.

— C’est un artiste, à en juger d’après sa conversation.

— Une espèce d’artiste, répliqua Daniel Doyce d’un ton bourru.

— Quelle espèce d’artiste ? demanda Clennam en souriant.

— Ma foi, il a fait un doigt de cour aux beaux-arts, comme tous les beaux messieurs de Pall-Mall, dit Daniel, et je doute que les beaux-arts se donnent à si bon marché. »

Poursuivant son enquête, Clennam découvrit que la famille Gowan était une ramification très éloignée des Mollusques, et que le père de Gowan, d’abord attaché à une légation britannique, avait reçu une pension de retraite en qualité de commissaire de pas grand’chose dans une ville quelconque, qu’il y était mort à son poste, son dernier trimestre à la main, et défendant vaillamment son traitement jusqu’au dernier soupir. En récompense de cet éclatant service rendu à son pays, le Mollusque alors au pouvoir avait conseillé à la couronne d’accorder une pension de deux ou trois cents livres sterling à la veuve de ce courageux fonctionnaire. Le Mollusque, qui avait succédé au premier, avait alloué par-dessus le marché à la veuve certain petit appartement calme et retiré dans le palais de Hampton-Court, où la vieille dame demeurait encore, déplorant la lésinerie du siècle, en compagnie de plusieurs autres vieilles dames des deux sexes. Son fils, Henry Gowan, ayant hérité de M. Gowan le commissaire, un revenu trop limité pour lui être d’une grande ressource dans ce monde, avait été difficile à caser, d’autant plus que les sinécures vacantes étaient rares pour le moment et que le génie du jeune homme, au sortir même de l’adolescence, l’avait porté à étudier de préférence ce genre d’agriculture qui consiste à cultiver la folle avoine. Enfin, il avait déclaré qu’il voulait se faire peintre ; d’abord parce qu’il avait toujours eu un caprice pour cet art, et ensuite parce qu’il désirait par là blesser au cœur l’amour-propre des Mollusques en chef qui ne lui avaient pas fait une position. De sorte qu’il était successivement arrivé : d’abord, que certaines dames fort distinguées avaient été horriblement choquées