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des bureaux des Circonlocutions n’avait pu en guérir M. Meagles pour longtemps. Clennam regarda Doyce, mais Doyce savait parfaitement à quoi s’en tenir ; cela ne le surprenait pas du tout, et il continua à regarder son assiette sans faire un geste ni prononcer une parole.

« Je vous suis bien obligé, dit Gowan pour terminer. Clarence est un âne fieffé, mais c’est un des meilleurs garçons que je connaisse. »

Il devint évident, avant la fin du déjeuner, que les amis de ce Gowan étaient tous plus ou moins ânes ou plus ou moins fripons ; ce qui ne les empêchait pas d’être les plus aimables, les plus charmants, les plus naïfs, les plus sincères, les plus obligeants, les plus chers garçons qu’il fût possible de rencontrer sur la terre. Le procédé au moyen duquel ce Gowan arrivait à cette conclusion invariable, n’importent les prémisses, aurait pu être décrit par M. Henry Gowan en ces termes : « J’ai le mérite de cultiver une tenue des livres sociale, avec la plus rigoureuse exactitude, au bénéfice de tout homme de ma connaissance, et de faire écritures du bien et du mal que je découvre en lui. Je tiens ce compte en parties doubles avec tant de conscience que je suis heureux de pouvoir vous dire que, tout compte fait, le plus méprisable des hommes est en même temps le plus aimable, le plus charmant camarade qu’on puisse voir ; je suis même fondé à vous faire la flatteuse déclaration qu’il existe beaucoup moins de différence que vous ne seriez disposé à le croire entre un honnête homme et une canaille. » Il résultait de cette découverte réjouissante que celui qui en était l’auteur semblait, en se battant les flancs pour trouver un bon côté chez tous les hommes, rabaisser au contraire leurs bonnes qualités, lorsqu’il en trouvait, pour faire ressortir les mauvaises ; du reste ce système n’avait rien de désagréable ni de dangereux.

Cependant M. Meagles en parut moins satisfait que de la généalogie des Mollusques. Le nuage que Clennam n’avait jamais vu sur la physionomie de son hôte avant cette matinée, revint fréquemment assombrir ses traits ; et il y avait la même ombre d’inquiétude dans le regard observateur de Mme Meagles. Plus d’une fois, lorsque Chérie caressa le chien, il sembla à Clennam que cela rendait le père malheureux ; et une fois surtout, tandis que Gowan se tenait de l’autre côté du chien et penchait la tête en même temps que Minnie, Arthur se figura qu’il voyait des larmes briller dans les yeux de M. Meagles qui sortit de la chambre à la hâte. Il lui semblait aussi, c’était peut-être encore une illusion, que Chérie elle-même n’était pas sans s’apercevoir de ces petits incidents ; qu’elle essayait, avec une affection plus délicate que de coutume, de témoigner à son bon père combien elle l’aimait ; que c’était pour ce motif qu’elle était restée derrière en allant et en revenant de l’église, pour lui prendre le bras. Arthur n’aurait pas mis sa main au feu que plus tard, en se promenant seul dans le jardin, il n’avait pas entrevu Chérie, dans la chambre de son père, embrassant