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au mur, et représentant deux petites filles qui se tenaient par la taille.

« Oui, Clennam, dit M. Meagles baissant la voix, les voilà toutes les deux. Ces portraits ont été faits il y a quelque chose comme dix-sept ans. Par conséquent, à cette époque-là, comme je le disais souvent à la maman, c’était de vrais babies.

— Et leurs noms ? demanda Arthur.

— Ah ! c’est juste. Vous n’avez jamais entendu d’autre nom que Chérie. Chérie s’appelle Minnie et sa sœur Lillie.

— Auriez-vous deviné, M. Clennam, que l’un de ces deux portraits est le mien ? demanda Chérie elle-même, qui venait de se montrer dans l’embrasure de la porte.

— J’aurais pu croire que le peintre aurait voulu vous représenter deux fois, tant les deux portraits vous ressemblent encore. Et même, ajouta Clennam, comparant des yeux le charmant original et le tableau, je ne saurais dire quel est celui des deux qui n’est pas votre portrait.

— Entends-tu cela, mère ? s’écria M. Meagles à sa femme qui avait suivi sa fille. Tout le monde en dit autant, Clennam ; personne ne peut se prononcer. L’enfant à votre gauche est Chérie. »

Le tableau se trouvait par hasard près d’une glace. Comme Arthur regardait de nouveau les portraits, la réflexion du miroir lui montra Tattycoram qui, après s’être arrêtée devant la porte pour écouter ce qu’on disait, s’éloignait en fronçant les sourcils, avec une expression irritée et dédaigneuse qui lui faisait perdre tout l’avantage de sa beauté.

« Mais, voyons, dit Meagles, vous venez de faire une longue promenade et vous ne serez pas fâché d’ôter vos bottes. Quant à Daniel que voilà, je suppose qu’il ne songerait jamais aux siennes, si on ne lui montrait pas un tire-botte.

— Pourquoi pas ? demanda Daniel, qui adressa à Clennam un sourire significatif.

— Oh ! vous avez tant d’autres choses en tête, répondit M. Meagles, en lui frappant sur l’épaule, comme s’il ne fallait, sous aucun prétexte, abandonner le mécanicien à sa propre faiblesse : des chiffres, des rouages, des engrenages et des leviers, des vis et des cylindres et mille autres choses.

— Dans ma profession, répondit Daniel en riant, nous disons en général que qui peut le plus peut le moins. Mais, bah ! bah ! comme vous voudrez. »

Clennam ne put s’empêcher, tandis qu’il s’asseyait auprès du feu, dans sa chambre, de se demander s’il n’y avait pas dans ce sincère, affectueux et cordial M. Meagles une portion microscopique de la petite graine qui avait fini par devenir ce grand arbre que nous appelons le ministère des Circonlocutions. Clennam en eut peur, en voyant son étrange prétention à une supériorité générale sur Daniel Doyce, fondée bien moins sur le caractère personnel de ce dernier que sur le seul fait que c’était un novateur, un homme qui n’était