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espagnole, des chapeaux de paille de Spezzia, des pantoufles mauresques, des épingles toscanes, des sculptures de Carrare, des fichus de Trastaverini, des velours et de la filigrane de Gênes, du corail napolitain, des camées romains, de la bijouterie de Genève, des lanternes arabes, des rosaires bénits d’un bout à l’autre par le Pape en personne, et une variété infinie de vieilles friperies. Il y avait des vues, plus ou moins ressemblantes, d’une foule d’endroits ; il y avait une petite salle consacrée à quelques tableaux de vieux saints gluants, avec des nerfs comme des cordes, des cheveux aussi bien peignés que ceux de Neptune, des rides qui ressemblaient plutôt à des tatouages, et des couches de vernis si abondantes que chacun de ces pieux personnages pouvait remplacer ce qu’en langage vulgaire et moderne on appelle du papier-tue-mouche. M. Meagles parlait de ses acquisitions artistiques comme le font la plupart des amateurs. Il ne prétendait pas se poser en connaisseur, disait-il, mais il savait ce qui lui plaisait ; il avait acheté ces toiles pour presque rien, et généralement on les trouvait fort belles. Quelqu’un qui passait pour avoir des connaissances en peinture, avait déclaré qu’un « sage lisant » (un vieux gentleman encore plus huileux que les autres, vêtu d’une couverture de laine avec une palatine d’édredon en guise de barbe, et tout couvert d’un filet de fêlures, comme la croûte d’une tarte trop cuite), est du Guercino. Quant à ce Sébastien del Piombo que voilà, tout le monde pouvait en juger par soi-même ; si le tableau n’était pas dans la seconde manière de cet artiste, de qui voulez-vous qu’il soit ? Voilà la question. Du Titien ? Peut-être que oui, peut-être que non. Peut-être le Titien n’a-t-il fait que le retoucher. « À moins, dit Daniel Doyce, qu’il n’y ait pas touché du tout. » Mais M. Meagles fit semblant de ne pas entendre de cette oreille-là.

Après avoir montré tous ses trophées de voyage, M. Meagles conduisit ses visiteurs dans sa propre chambre, petite salle fort commode qui donnait sur la pelouse, et qui tenait le milieu entre un cabinet de toilette et un bureau ; on y voyait, sur une sorte de pupitre-comptoir, des petites balances à peser de l’or et une petite pelle de banquier.

« Les voici, ma foi ! vous voyez, dit M. Meagles. Voici les instruments derrière lesquels je me suis tenu pendant trente-cinq années consécutives, quand je ne songeais pas plus à courir le monde que je ne songe aujourd’hui à… rester chez moi. Lorsque j’ai quitté la banque pour de bon, j’ai demandé à les emporter avec moi. J’aime mieux vous le dire tout de suite ; sans cela vous pourriez supposer que je reste assis dans mon bureau (c’est Chérie qui m’en fait la guerre), comme le roi du poème des Vingt-quatre merles[1], à compter mon argent. »

Les yeux de Clennam s’étaient dirigés vers un tableau accroché


  1. Ce poème est une chanson dont on berce les enfants pour les endormir. (Note du traducteur.)