Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/188

Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Sauriez-vous, par hasard, madame Clennam, demanda alors le seigneur et maître de Mme Jérémie en baissant la voix et en mettant dans ses paroles une expression que ne semblait pas suffisamment justifier cette question si simple, où elle demeure ?

— Non.

— Tiendriez-vous…, tiendriez-vous beaucoup à le savoir ? reprit M. Flintwinch comme s’il eût pris son élan pour se précipiter sur sa maîtresse.

— Si je désirais le savoir, je le saurais déjà. N’aurais-je pas pu le lui demander ?

— Alors vous ne vous souciez pas de connaître son adresse ?

— Je ne m’en soucie pas. »

M. Jérémie respira longuement et d’une façon significative, puis il continua en appuyant toujours sur les mots :

« Car je le sais, moi, où elle demeure… par hasard, bien entendu !

— Quelle que soit sa demeure, dit Mme Clennam d’une voix dure et saccadée, séparant les mots aussi distinctement que si elle les lisait sur des morceaux de métal qu’elle aurait ramassés un à un, elle m’en a fait un secret et ce secret je ne cherche pas à le pénétrer.

— Après tout, peut-être auriez-vous préféré ne pas savoir que je le connais ! ajouta Jérémie, qui fit des contorsions en parlant, comme si les paroles sortaient tout de travers de sa bouche.

— Flintwinch, dit sa maîtresse et associée s’exprimant avec une soudaine énergie qui fit tressaillir Mme Jérémie, pourquoi me poussez-vous à bout ? S’il est vrai qu’il y ait quelque dédommagement en échange de ma longue réclusion dans ces étroites limites, non que je me plaigne des maux qui m’affligent, vous savez que je ne me plains jamais ; s’il est vrai qu’il y ait quelque dédommagement pour moi du long exil que je subis dans cette chambre à sentir que, s’il m’isole de tout plaisir, il m’épargne aussi la connaissance de certaines choses que je préfère ne pas connaître, vous devriez être le dernier à m’envier cette faible compensation.

— Je ne vous l’envie pas, répliqua Jérémie.

— Alors ne m’en parlez plus, ne m’en parlez plus. Que la petite Dorrit garde son secret et vous aussi. Laissez-la aller et venir, sans commentaires et sans questions. Laissez-moi souffrir, mais laissez-moi aussi profiter de tous les soulagements que peut comporter ma position. Me trouvez-vous trop exigeante de vous demander que vous ne veniez pas me tourmenter comme un mauvais génie.

— Je n’ai fait que vous adresser une question. Voilà tout.

— Et j’y ai répondu. Donc, ne m’en parlez plus. »

Alors on entendit sur le parquet le bruit du fauteuil que l’on faisait rouler, et une main impatiente agita la sonnette de Mme Jérémie.

Comme Mme Jérémie avait encore plus peur de son mari que du bruit mystérieux qu’elle entendait parfois dans la cuisine, elle