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qu’il plaçait doucement un verre devant elle… Mais je crois que Maggy ne serait peut-être pas fâchée de prendre quelque chose,

— Nous lui ferons trouver de la place dans ses poches tout à l’heure pour y mettre tout ce qu’il y a là, dit Clennam ; mais, avant de la réveiller, je vous rappellerai que vous aviez une troisième chose à me dire.

— Oui. Vous ne vous fâcherez pas, monsieur ?

— Je vous le promets, sans condition.

— Cela va vous paraître si étrange : je ne sais pas trop comment vous le dire. N’allez pas me croire déraisonnable ou ingrate, dit la petite Dorrit dont l’agitation recommençait de plus belle.

— Non, non, non. Je suis sûr que vous ne direz rien que de fort naturel et de fort juste. Je n’ai pas peur de mal interpréter votre pensée, quelle qu’elle soit.

— Merci ! vous avez l’intention de retourner voir mon père ?

— Oui.

— Vous avez eu la bonté et l’obligeance de lui écrire un mot pour lui annoncer que vous viendriez le voir demain ?

— Oh ! si ce n’est que ça, Oui.

— Pouvez-vous deviner, continua la petite Dorrit, les mains jointes et pressées, fixant sur Clennam des yeux où brillait l’ardeur d’une supplication muette, ce que je vais vous prier de ne pas faire ?

— Je crois que oui. Mais je puis me tromper.

— Non, vous ne vous trompez pas, répliqua la petite Dorrit secouant la tête. Si nous venons à en avoir tant, tant besoin que nous ne puissions pas nous en passer, laissez-moi vous en demander.

— Je vous le promets… je vous le promets.

— Ne l’encouragez pas à vous en demander. N’ayez pas l’air de le comprendre, s’il vous le demande. Ne lui en donnez pas. Épargnez-lui cette honte et vous pourrez alors le juger plus favorablement ! »

Clennam répondit, pas très distinctement, car il voyait des larmes dans les yeux inquiets de la jeune fille, que son désir serait sacré pour lui.

« Vous ne connaissez pas mon père, dit-elle, vous ne le comprenez pas. Comment le comprendriez-vous, le voyant tout à coup tel qu’il est devenu, pauvre cher père, au lieu de voir, comme moi, les degrés successifs par lesquels il y est arrivé petit à petit. Vous avez été si bon pour nous, vous y avez mis tant de délicatesse et de bonté que je voudrais que vous eussiez bonne opinion de lui. Je tiens à votre opinion plus qu’à celle de tous les autres, et je souffre de penser que vous, vous ne l’aurez vu que dans l’état de dégradation où il peut être.

— Allons, dit Clennam, ne vous chagrinez pas ainsi. Allons, allons, ma petite Dorrit ! Tout cela est parfaitement entendu.

— Merci, monsieur, merci ! J’ai fait de grands efforts pour m’empêcher de vous le dire ; mais j’y ai pensé nuit et jour ; et lorsque j’ai su que vous aviez promis de venir demain, je me suis décidée à