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ce que disait le blessé. On s’empressa de le laisser avancer pour qu’il pût servir de trucheman.

« D’abord il demande de l’eau, dit Arthur à ceux qui l’entouraient (une douzaine de bons enfants se dispersèrent pour aller en chercher). Êtes-vous grièvement blessé, mon ami ? demanda-t-il en italien à l’homme étendu sur le brancard,

— Oui, monsieur, oui, oui, oui. C’est ma jambe, c’est ma jambe. Mais c’est égal, ça me fait toujours plaisir d’entendre la vieille musique de mon pays, quoique je souffre beaucoup.

— Vous êtes un voyageur ?… Attendez, voici de l’eau ; laissez-moi vous en donner un peu. »

On avait posé le brancard sur un tas de pavés qui s’élevait à une hauteur commode, et, en se penchant un peu, Arthur put soulever légèrement la tête du blessé avec la main gauche, tandis qu’avec la droite il approchait le verre des lèvres du malade. C’était un petit homme musculeux, au teint bronzé, aux cheveux noirs et aux dents blanches. Une physionomie pleine de vivacité en apparence. Il portait des boucles d’oreilles.

« Là, c’est bon… Vous êtes voyageur ?

— Oui, monsieur.

— Étranger dans cette ville ?

— Oui, oui, tout à fait ; je n’y suis arrivé que ce soir.

— D’où ?

— De Marseille.

— Eh ! voyez donc ! Moi aussi ! Je suis presque aussi étranger que vous dans cette grande ville de Londres, quoique j’y sois né, et il y a peu de temps que j’ai quitté Marseille. Allons, ne vous laissez pas abattre. » Le blessé tourna vers Clennam un visage suppliant, lorsque celui-ci se redressa, après qu’il lui eut essuyé le front et doucement replacé la redingote sur ses pauvres membres qui se tordaient de douleur. « Je ne vous quitterai que lorsque vous serez bien soigné. Courage ! Ça ira mieux dans une demi-heure d’ici.

— Ah ! Altro ! Altro ! » s’écria le blessé d’un ton d’incrédulité respectueuse ; et tandis qu’on soulevait le brancard, il avança la main pour faire avec l’index le geste de dénégation des Napolitains.

Arthur Clennam se retourna, puis marchant auprès du brancard et adressant de temps à autre quelque parole encourageante au malheureux étranger, il accompagna la civière jusqu’à l’hôpital de Saint-Bartholomé. On ne laissa pénétrer dans l’hospice que les porteurs et l’obligeant interprète ; le blessé fut bientôt étendu sur une table, d’une façon calme et méthodique, et examiné avec soin par un chirurgien. Ces honnêtes praticiens sont toujours prêts : le mal n’est pas plutôt arrivé qu’ils sont sur ses talons pour le réparer.

« Il sait à peine un mot d’anglais, dit Clennam. Est-il dangereusement blessé ?