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sation qu’il attrapa à la volée, et la vue d’un paquet crotté que portait un passant et d’un chapeau couvert de boue que tenait un autre, firent comprendre à Clennam qu’il venait d’arriver un accident. Le brancard s’arrêta au-dessous d’un réverbère à quelques pas de là, pour laisser aux porteurs le temps de rajuster quelque chose ; et, la foule s’arrêtant en même temps, Clennam se trouva au milieu du cortège.

« Un blessé qu’on porte a l’hôpital ? demanda-t-il à un vieillard qui se trouvait près de lui, hochant la tête comme un homme qui ne demande pas mieux que d’entamer une conversation.

— Oui, répondit le vieillard ; c’est la faute de ces malles-postes. On devrait les poursuivre et les mettre à l’amende, ces malles-postes. Elles descendent de Lad-Lane et Wood-Street au galop, ces malles-postes, avec une vitesse de douze ou quatorze milles à l’heure. Je ne m’étonne que d’une chose, c’est qu’il n’y ait pas plus de gens tués par ces malles-postes.

— Cet homme n’a pas été tué, j’espère ?

— Je n’en sais rien, répliqua le vieillard ; s’il n’est pas tué, ce n’est toujours pas faute de bonne volonté de la part de ces malles-postes. »

L’orateur s’étant croisé les bras et ayant pris une pose commode pour adresser ses invectives contre les malles-postes à tous ceux qui voudraient l’entendre, plusieurs spectateurs, par pure sympathie pour le blessé, firent chorus avec le vieillard.

« C’est une véritable peste que ces malles-postes, monsieur, disait l’un.

— J’en ai vu une qui a manqué de passer sur le corps d’un enfant hier au soir ; il ne s’en est pas fallu d’un pouce, dit un autre.

— Moi j’en ai vu une écraser un chat, monsieur… et ç’aurait tout aussi bien pu être votre propre mère, dit un troisième.

Tous donnaient implicitement à entendre que, si Clennam possédait la moindre influence administrative, il ne saurait mieux l’employer qu’en cherchant à faire supprimer les malles-postes.

« Mais quand nous autres Anglais nous sommes obligés de nous tenir sur nos gardes, afin de ne pas être tués roides par ces malles-postes, et nous savons pourtant par expérience qu’elles sont toujours à tourner les coins de rue au galop, pour le plaisir de nous écharper, reprit le vieillard ; comment voulez-vous qu’un pauvre étranger leur échappe ?

— C’est donc un étranger ? » demanda Clennam qui se pencha en avant pour mieux voir.

Au milieu d’une foule de réponses contradictoires telles que : « C’est un Français, monsieur, un Portugais, monsieur, un Hollandais, monsieur, un Prussien, monsieur, » Clennam entendit une voix faible qui demandait de l’eau en français et en italien. Là-dessus, tout le groupe s’écria par interprétation :

« Ah ! le pauvre homme ; voyez-vous, il dit qu’il n’en reviendra jamais, et ça n’est pas bien étonnant. »

Arthur pria qu’on lui permît de passer, attendu qu’il comprenait