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Lorsqu’ils eurent fait quelques pas en silence, Clennam reprit.

« Est-ce que vous n’avez de goût pour rien, monsieur Pancks ?

— Du goût ? qu’est-ce que c’est que cela ? riposta Pancks d’un ton très sec.

— Eh bien ! un penchant, une inclination quelconque ?

— J’ai du penchant pour gagner de l’argent, monsieur, répondit Pancks ; veuillez seulement m’en indiquer les moyens, et vous verrez ! »

Pancks fit encore son ronflement nasal, et pour la première fois il vint à l’esprit de Clennam que ce pouvait bien être sa manière de rire. C’était un homme singulier sous tous les rapports ; on aurait pu croire qu’il ne parlait pas très sérieusement, si le ton bref, dur et rapide dont il éjaculait ces principes arides, comme sous l’impulsion d’un moteur mécanique, avait pu se concilier avec la moindre intention de plaisanterie.

« Vous lisez peu, je suppose ? dit Clennam.

— Je ne lis jamais que des lettres d’affaires et des livres de compte. Je ne collectionne que des annonces concernant les héritages en déshérence. Vous n’êtes pas de la famille des Clennam de Cornouailles, monsieur Clennam ?

— Pas que je sache.

— Je sais que vous n’en êtes pas. Je l’ai demandé à votre mère, monsieur. Elle ne serait pas femme à laisser échapper une chance !

— Supposons que j’eusse appartenu au Clennam de Cornouailles ?

— Vous auriez appris quelque chose à votre avantage.

— En vérité ? Voilà longtemps que cela ne m’est pas arrivé.

— Il y a en Cornouailles une propriété qui ne demande qu’à trouver un propriétaire, et pas un Clennam ne veut se donner la peine de la réclamer, ajouta Pancks, tirant son calepin de la poche de son habit et le remettant immédiatement en place. Je vous quitte ici : voici la rue où je vais. Je vous souhaite le bonsoir.

— Bonsoir ! » dit Clennam.

Mais le bateau toueur, allégé tout à coup et débarrassé du poids qu’il avait remorqué jusqu’alors, était trop loin pour l’entendre.

Ils avaient traversé Smithfield ensemble, et Clennam se trouva seul au coin de Barbican. Il n’avait nulle intention de se présenter ce soir là dans la morne chambre de sa mère, et il ne se serait pas senti plus abattu ni plus abandonné s’il se fût trouvé au milieu d’un désert. Il descendit lentement Aldersgate-Street, et s’avançait en rêvant vers l’église Saint-Paul, avec l’intention de gagner une des rues populeuses de la ville, parce qu’il avait besoin de bruit et de mouvement, lorsqu’un groupe nombreux se dirigeant vers lui sur le même trottoir, il s’adossa à une boutique afin de le laisser passer. Quand tout ce monde fut près de lui, il s’aperçut qu’on se rassemblait autour de quelque chose que quatre hommes portaient sur leurs épaules. Il vit bientôt que c’était un brancard fabriqué à la hâte au moyen d’un volet ou de quelque objet de ce genre ; la position de l’homme qui était couché dessus, des lambeaux de conver-