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— Bonté divine ! j’espère bien que vous n’êtes pas resté célibataire tout ce temps à cause de moi ! reprit Flora avec son petit rire mutin ; mais il va sans dire que ce n’est pas à cause de moi, vous ne voudriez pas me faire croire cela… Ne me répondez pas, je ne sais plus ce que je dis. Oh ! je vous en prie, parlez-moi un peu des dames chinoises ; dites-moi s’il est vrai que leurs yeux soient vraiment fendus en amande comme dans leurs portraits, où la forme qu’on leur donne me rappelle toujours les fiches de nacre pour jouer aux cartes. Et leurs queues ? est-il vrai qu’elles portent des queues nattées le long du dos, ou n’y a-t-il que les hommes qui se coiffent comme ça ? Comment font-elles pour ne pas se faire de mal en tirant leurs cheveux si fort pour les relever sur le front ? Pourquoi donc aussi les Chinois fourrent-ils partout de petites clochettes, sur leurs ponts, sur leurs pagodes, sur leurs chapeaux ? Après cela, ce n’est peut-être pas vrai ? »

Flora lança encore à Clennam une de ses anciennes œillades ; puis elle recommença de plus belle, comme si son ancien adorateur eût répondu assez longuement à toutes ses questions.

« Comment ! tout cela est donc vrai ? Bonté divine, Arthur !… excusez-moi, je vous prie… reste de vieille habitude… M. Clennam serait une façon de parler beaucoup plus convenable… Comment avez-vous pu vivre si longtemps dans un pareil pays, avec tant de lanternes et de parapluies ? Il faut donc que le climat soit bien sombre et bien humide ? Quelles fortunes doivent faire les fabricants de ces deux articles, si tout le monde en porte ou en accroche partout ! Et les petits souliers donc, et les pieds déformés dès l’enfance, tout cela doit être très curieux ; et dire que vous avez voyagé partout par là ! »

Dans sa ridicule détresse, Clennam reçut encore une de ces œillades d’autrefois, sans savoir le moins du monde ce qu’il devait en faire.

« Bonté divine continua Flora, quand je songe aux changements qui sont survenus, Arthur… c’est plus fort que moi, cela me vient si naturellement ; mais M. Clennam serait plus convenable… depuis que vous vous êtes familiarisé avec les mœurs chinoises et la langue du pays que vous parlez, j’en suis sûre, aussi bien, sinon mieux qu’un indigène, car vous avez toujours eu beaucoup de moyens et d’intelligence, quoique la langue doive être horriblement difficile ; pour moi, tout ce que je sais, c’est qu’il suffirait d’une simple caisse à thé pour me mettre au tombeau, si j’essayais seulement de déchiffrer ce qu’il y a dessus ; quels changements, Arthur !… voilà que je recommence, ça me vient si naturellement, bien que ça ne soit pas convenable ; c’est à n’y pas croire ; qui donc se serait jamais attendu à me voir Mme Finching quand je ne m’y attendais pas moi-même ?

— C’est là le nom que vous portez maintenant demanda Arthur, frappé, au milieu de tout ce bavardage, d’une certaine chaleur de cœur qui se ranimait chaque fois que Flora faisait une