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quand on leur répondait : « Christophe Casby, ancien homme d’affaires de lord Decimus Tenace Mollusque », ils s’écriaient dans leur désespoir : « Oh ! pourquoi avec cette tête ne s’est-il pas fait plutôt bienfaiteur de ses semblables ? Oh ! pourquoi avec cette tête n’est-il pas le père de l’orphelin et l’ami des malheureux ? » Avec cette tête, le vieillard se contenta d’être Christophe Casby, qui avait la réputation de posséder un grand nombre d’immeubles, et c’est avec cette tête qu’Arthur le trouva assis dans son salon silencieux. Et, au fait, c’eût été le comble de la folie de croire qu’il pût s’y asseoir autrement.

Arthur fit quelques pas pour attirer l’attention de son hôte, et les sourcils gris se tournèrent vers lui.

« Pardon, dit Clennam, je crains que vous ne m’ayez pas entendu annoncer ?

— En effet, monsieur, je n’avais pas entendu. Vous désirez me parler, monsieur ?

— Je désirais vous offrir mes hommages. »

Cette réponse parut causer l’ombre d’une contrariété à M. Casby, qui avait peut-être espéré que le visiteur venait lui offrir quelque chose de plus substantiel.

« Ai-je le plaisir, continua-t-il… Prenez un siège, monsieur, je vous prie… Ai-je le plaisir de connaître… ? Ah ! oui, en vérité, je crois que oui ! Si je ne me trompe, il me semble que je connais ces traits. Je crois que j’adresse la parole à un gentleman dont M. Flintwinch m’a annoncé le retour ?

— Oui, monsieur Casby, c’est bien lui en effet qui vous rend visite.

— En vérité ! monsieur Clennam ?

— En personne, monsieur Casby.

— Monsieur Clennam, je suis charmé de cette bonne fortune. Comment vous êtes-vous porté depuis que nous nous sommes vus ? »

M. Clennam, jugeant inutile d’expliquer que, depuis quelque chose comme un quart de siècle qui s’était écoulé dans l’intervalle de leur dernière rencontre, il avait eu à souffrir de divers malaises au moral comme au physique, répondit vaguement que jamais il ne s’était mieux porté, ou quelque phrase également appropriée à la circonstance ; puis il échangea une poignée de main avec le propriétaire de cette tête à la lueur de l’auréole patriarcale qu’elle reflétait sur lui.

« Nous sommes plus vieux qu’alors, monsieur Clennam, remarqua Christophe Casby.

— Nous ne sommes pas plus jeunes, » répliqua Clennam. Après cette judicieuse observation, Arthur s’aperçut qu’il ne donnait pas là un brillant échantillon de son esprit, et se sentit contrarié.

« Et votre respectable père, ajouta M. Casby, n’est plus de ce monde ! J’ai été bien peiné de l’apprendre, monsieur Clennam, j’en ai été bien peiné. »