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rent l’affaire, l’embrouillèrent, la ressassèrent ; comme quoi les impertinences, les ignorances et les insultes furent multipliées par tous les chiffres de la table de Pythagore ; comme quoi l’invention fut renvoyée à l’examen de trois Mollusques et de leur cousin Des Échasses, qui n’en savaient pas le premier mot, et dont le cerveau rebelle ne put rien y comprendre, si bien qu’ils s’en lassèrent et constatèrent des impossibilités matérielles dans le rapport qu’ils firent à ce sujet ; comme quoi le ministère des Circonlocutions déclara dans une minute, no 8740, qu’il ne voyait aucun motif pour revenir sur la décision de Leurs Seigneuries ; comme quoi le ministère des Circonlocutions, étant prévenu que Leurs Seigneuries n’avaient rien décidé du tout, avait mis l’affaire de côté ; comme quoi, le matin même, il y avait eu audience finale avec le chef auguste de ce ministère, et comme quoi le chef, tout bien considéré, vu les circonstances et envisageant la question sous toutes ses faces, était d’avis qu’il n’y avait que deux choses à faire : se tenir tranquille ou recommencer tout sur nouveaux frais.

« Sur ce, dit M. Meagles, en ma qualité d’homme pratique, en présence du ministre et de son cabinet, j’ai saisi Doyce au collet, je lui ai dit que je voyais clairement que c’était un infâme gredin, un traître conspirant contre le repos du gouvernement, et je l’ai entraîné ainsi jusqu’à la porte d’entrée du ministère, afin que le concierge même vît que j’étais un homme pratique, et que j’appréciais la manière dont la sagesse officielle rend justice aux gredins de son espèce. Et voilà ! »

Si ce léger petit Mollusque de tantôt se fût trouvé là, peut-être leur eût-il franchement avoué que le ministère des Circonlocutions avait atteint le but qu’il se proposait ; que tout ce que les Mollusques désirent, c’est de s’accrocher aussi longtemps que possible au vaisseau national ; qu’arranger, alléger, nettoyer ledit vaisseau, ce serait les jeter à la mer, et qu’il n’y avait qu’une manière de les y jeter, c’était de faire sombrer le vaisseau tandis qu’ils continuent à s’y accrocher ; pour ce qui était de ça, c’était l’affaire du pays et non la leur.

« Là ! fit M. Meagles, maintenant vous connaissez l’histoire de Doyce ; excepté (ce qui, je l’avoue, ne contribue pas à me mettre de bonne humeur) que, même en ce moment, vous ne l’entendez pas se plaindre.

— Il faut que vous ayez beaucoup de patience, dit Arthur Clennam, le contemplant avec un certain étonnement, et beaucoup de magnanimité.

— Non, répliqua le mécanicien, je ne crois pas avoir plus de patience qu’un autre.

— Si, parbleu !… vous en avez toujours plus que moi ! » s’écria M. Meagles.

Doyce sourit en disant à Clennam :

« Voyez-vous ! je ne suis pas le premier à qui cela arrive ; j’en ai vu bien d’autres. Mon sort est le sort commun. Je ne suis pas