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une effrayante quantité de papiers, et où il en entrait une quantité non moins effrayante. C’était un va-et-vient presque incessant, dont un autre employé, le numéro quatre, était l’instrument actif.

« Je veux savoir, » dit Arthur Clennam, qui répéta sa demande avec le même ton d’orgue de barbarie. Numéro un le renvoya à numéro deux, et celui-ci l’ayant engagé à s’adresser à numéro trois, il eut l’occasion de répéter trois fois sa formule avant qu’on s’accordât pour le renvoyer au numéro quatre, auquel il redit sa phrase stéréotypée.

Numéro quatre était un jeune et joli garçon, à l’air vif et aimable. Il appartenait à la famille Mollusque, mais à une branche plus animée de cette noble race, et il répondit avec la plus grande aisance :

« Oh ! vous feriez mieux de ne pas vous casser la tête à ça, croyez-moi.

— Ne pas me casser la tête !

— Oui ! je vous conseille de perdre votre temps d’une façon moins assommante. »

C’était là une manière si nouvelle d’envisager la chose, qu’Arthur Clennam ne sut trop comment prendre l’avis qu’on lui donnait.

« Vous pouvez continuer si ça vous amuse. Je puis vous donner un tas d’imprimés officiels à remplir. Prenez-en une douzaine si vous voulez ; mais vous n’aurez jamais la patience d’aller jusqu’au bout, continua numéro quatre.

— Est-il donc impossible d’obtenir ces renseignements ? Pardonnez mon importunité ; mais je suis presque un étranger.

— Je ne dis pas que c’est impossible, répliqua numéro quatre avec un sourire plein de franchise ; je n’émets aucune opinion à cet égard. Je crois seulement que vous n’aurez pas la patience d’aller jusqu’au bout. Je présume que votre homme aura soumissionné quelque fourniture et qu’il aura failli à ses engagements. Est-ce ça ?

— Je n’en sais vraiment rien.

— Allons ! vous pouvez toujours vous renseigner là-dessus. Ensuite vous tâcherez de savoir quel bureau a adjugé la fourniture, et alors on vous donnera les détails.

— Pardon ; mais comment obtiendrai-je cette première indication ?

— Ma foi, vous… vous le demanderez jusqu’à ce qu’on vous réponde. Lorsqu’on vous aura répondu, vous adresserez une lettre à ce bureau (d’après le modèle que vous tâcherez de vous faire indiquer) pour obtenir la permission d’envoyer une requête au secrétariat. Il sera pris acte de votre demande dans ce bureau, qui devra la renvoyer pour être enregistrée au secrétariat, qui devra la transmettre à un autre bureau qui, après l’avoir apostillée, devra la renvoyer pour être contre-signée par un autre bureau, et alors votre demande se trouvera régularisée. Vous saurez la marche qu’aura suivie votre requête en demandant à chaque bureau jusqu’à ce qu’on vous réponde.