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ça chez nous pour nous dire que vous voulez savoir, vous savez, interrompit d’un ton de remontrance Mollusque jeune, qui se retourna en ajustant son lorgnon.

— Je veux savoir, répéta Arthur Clennam, qui s’était décidé à adopter une formule laconique et à ne pas sortir de là, d’une façon précise la nature de la réclamation que l’État élève contre un prisonnier pour dettes du nom de Dorrit.

— Dites donc ! voyez-vous ! vous allez vraiment trop vite, savez-vous ! Et vous n’avez pas même une lettre d’audience, s’écria Mollusque Jeune, comme si l’affaire commençait à devenir très sérieuse.

— Je veux savoir… » reprit Arthur. Et il répéta sa question. Mollusque Jeune le regarda en ouvrant de grands yeux, jusqu’à ce que son lorgnon fût tombé, puis il recommença le même manège.

« Vous n’avez pas le droit de faire de ces choses-là, reprit-il enfin avec tous les symptômes d’une faiblesse excessive, voyez-vous ! Qu’entendez-vous par-là ? Vous disiez tout à l’heure que vous ne saviez pas s’il s’agissait ou non d’une affaire publique.

— Je viens de m’en assurer, répliqua le solliciteur, et je veux savoir… » Et il répéta encore sa monotone question.

Cette redite eut pour résultat d’affaiblir de plus en plus le jeune Mollusque, qui s’écria de nouveau :

« Voyez-vous ! ma parole d’honneur, il ne faut pas venir chez nous pour nous dire que vous voulez savoir, vous savez ! »

Là-dessus Arthur Clennam répète sa question dans les mêmes termes et sur le même ton, ce qui fait que le jeune Mollusque devient un merveilleux modèle de découragement et d’impuissance.

« Eh bien, voyez-vous ! ce que vous avez de mieux à faire, c’est de demander au secrétariat, » dit-il enfin, se glissant vers le cordon de la sonnette, qu’il tira. Le garçon de bureau qui avait fini de manger les pommes de terre au jus, répondit à cet appel. « Jenkinson, ajouta Mollusque, conduisez chez M. Wobbler. »

Arthur Clennam, s’étant imposé la tâche de prendre d’assaut le ministère des Circonlocutions, et décidé à ne pas reculer, accompagna le garçon de bureau à un autre étage, où ce fonctionnaire lui désigna le bureau de M. Wobbler. Il entra dans cet appartement et trouva deux gentlemen, assis en face l’un de l’autre à une table spacieuse et commode. L’un d’eux était occupé à polir un canon de fusil avec son foulard, tandis que l’autre étendait de la marmelade sur une tartine de pain, avec un couteau à papier.

« M. Wobbler ? » demanda le solliciteur.

Les deux gentlemen levèrent les yeux et le regardèrent un instant, surpris de tant d’audace.

« … De sorte qu’il a pris le chemin de fer, dit l’employé armé d’un fusil, qui parlait très lentement, et il est parti pour la campagne de son cousin, emmenant le chien avec lui. Un vrai bijou, que ce chien : il a sauté à la gorge de l’individu chargé de le mettre