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le pays montrait moins de lésinerie, et où le ministre des Circonlocutions était moins importuné qu’aujourd’hui. De même qu’il entourait le col du pays d’innombrables rouleaux de ficelle rouge et de paperasses bureaucratiques, de même il entourait son propre cou d’innombrables rouleaux de cravate blanche. Ses manchettes et son faux-col avaient une majesté écrasante ; sa voix et ses manières ne faisaient pas moins d’effet. Il portait une grosse chaîne de montre et des breloques, un habit trop serré, un gilet idem, des pantalons qui ne faisaient pas un pli, et des bottes d’une roideur admirable. En somme, il était superbe, massif, accablant et inabordable. On eût dit qu’il avait posé toute sa vie devant sir Thomas Lawrence.

« M. Clennam, je crois ? dit M. Tenace Mollusque. Prenez un siège. »

M. Clennam prit un siège.

« Vous êtes venu plusieurs fois, si je ne me trompe, me demander aux Circonlocutions ? » Dans sa bouche ce dernier mot avait une longueur d’environ vingt-cinq syllabes.

« J’ai pris cette liberté. »

M. Mollusque salua d’une façon solennelle, comme qui dirait :

« C’est une liberté, je n’en disconviens pas ; prenez encore la liberté de m’expliquer votre affaire.

— Permettez-moi de vous dire tout d’abord que je viens de passer quelques années en Chine, que je suis presque un étranger dans mon propre pays, et que ce n’est pas un motif d’intérêt personnel qui me dicte la question que je vais vous faire. »

M. Mollusque tambourina légèrement sur la table qui se trouvait près de lui, comme s’il se fût mis à poser pour un second artiste à lui inconnu, et qu’il eût voulu lui adresser cette recommandation tacite :

« Si vous voulez bien avoir la complaisance de me représenter avec l’expression de dignité que je viens de donner à ma physionomie, vous m’obligerez.

— J’ai rencontré dans la prison de la Maréchaussée un prisonnier du nom de Dorrit, qui se trouve là depuis bien [des] années. Je désire me renseigner sur l’état de ses affaires, qui me semblent fort embrouillées, afin de voir s’il n’y aurait pas moyen d’améliorer sa position après une si longue captivité. On m’a désigné M. Tenace Mollusque comme un des créanciers les plus influents. Ce renseignement est-il exact ? »

Comme le ministère des Circonlocutions avait pour principe de ne jamais donner une réponse catégorique, sous quelque prétexte que ce fût, M. Mollusque se contenta de répondre :

« C’est possible.

— Comme représentant de l’État, ou comme simple particulier ?

— Il est possible, monsieur, répondit M. Mollusque, que le ministère des Circonlocutions ait conseillé… cela est possible, je n’affirme rien… de poursuivre certaine réclamation que l’État a pu