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l’œil qui retient le lorgnon, mais la bonté l’empêche de rien changer quant à présent aux dispositions qu’il a prises avec tant de peine.)

« Merci. J’y vais de ce pas. Bonjour. »

Mollusque jeune est tout déconcerté, car il ne s’imaginait pas le moins du monde qu’on songerait à suivre son conseil.

« Êtes-vous bien sûr, demande-t-il, ne renonçant qu’à regret à l’idée lumineuse qui lui était d’abord venue, et rappelant le visiteur, dont la main se trouvait déjà sur la porte, qu’il ne s’agit pas de tonnage ?

— Parfaitement sûr. »

Après avoir donné cette assurance, M. Clennam se retira afin de poursuivre ses investigations, se demandant ce qui serait advenu dans le cas où il aurait en effet été question de tonnage.

Mews-Street, Grosvenor-Square, n’est pas tout à fait Grosvenor-Square, mais il ne s’en faut pas de beaucoup ; et pourtant, malgré ce voisinage aristocratique, c’est une piteuse petite rue où l’on ne voit guère que des murs de clôture, des écuries, des remises surmontées de greniers habités par des familles de cochers, lesquelles ont la manie de sécher le linge en plein air, et de décorer l’allège des fenêtres avec des barrières de péage en miniature. Le ramoneur en vogue de ce quartier distingué habite au fond de cette impasse, non loin d’un établissement très fréquenté le matin et à l’heure du crépuscule, pour la vente de bouteilles d’occasion et de graisses de cuisine. Les baraques de polichinelle viennent s’appuyer contre les murs de clôture de Mews-Street, tandis que les directeurs de ces théâtres vont dîner ailleurs ; et les chiens du voisinage se donnent dans cette même localité des rendez-vous auxquels ils se gardent bien de manquer. Néanmoins il existe à l’entrée de Mews-Street deux ou trois bicoques où l’on étouffe faute d’air, mais qui se louent à des prix fabuleux, parce que ce sont des dépendances infimes du quartier fashionable. Dès qu’une de ces horribles petites cages à poulets est à louer (ce qui arrive très rarement, car elles sont très recherchées), l’agent chargé de la location la désigne dans les annonces comme une résidence de gentleman, située dans le quartier aristocratique, habitée uniquement par the elite of the beau monde.

Si une résidence digne d’un gentleman, et strictement renfermée dans l’étroite limite ci-dessus mentionnée, n’eût pas été un des accessoires obligés du sang des Mollusques, le chef de la branche Tenace Mollusque aurait pu choisir partout ailleurs, parmi au moins… mettons un chiffre rond… dix mille maisons, un logis cinquante fois plus commode et trois fois moins coûteux. Quoi qu’il en soit, M. Tenace Mollusque, se trouvant fort gêné dans les étroites limites de la résidence aristocratique qu’il payait si cher, s’écriait que c’était la faute du pays, et y trouvait une nouvelle preuve de la lésinerie nationale.

Arthur Clennam s’arrêta devant une maison resserrée, d’une architecture bizarre, à façade cintrée, et dont le petit fossé destiné