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viennent de se démener comme des possédés sur les hustings, parce qu’on n’a pas fait telle ou telle chose, et qui ont sommé les amis de leur honorable adversaire de dire pourquoi on ne l’a pas faite, et qui ont affirmé qu’on doit la faire et qui se sont engagés à la faire faire ; il est vrai, dis-je, que chacun d’eux, une fois colloqué, se dépêche de rechercher les moyens de ne pas la faire. Il est vrai que les débats de la chambre des communes et de la chambre des lords, depuis le commencement jusqu’à la fin de chaque session, aboutissent invariablement à une discussion prolongée sur les moyens de ne pas la faire. Il est vrai qu’à l’ouverture de chacune de ces sessions, le discours du trône dit virtuellement : « Milords et Messieurs, vous avez une bonne dose de besogne à faire, et vous voudrez bien vous retirer chacun dans vos chambres respectives et disserter sur les meilleurs moyens de… ne pas la faire. » Il est vrai qu’à la fin de chacune de ces sessions, le discours du trône dit virtuellement : « Milords et Messieurs, vous venez de passer plusieurs mois pénibles à rechercher avec beaucoup de loyauté et de patriotisme les moyens de ne rien faire, et vous avez réussi ; et, après avoir demandé la bénédiction du ciel pour la prochaine récolte (naturelle et non politique, ne pas confondre), je vous invite à retourner dans vos foyers. » Tout cela est très vrai, j’en conviens, mais le ministère des Circonlocutions va beaucoup plus loin.

Car le ministère des Circonlocutions poursuit chaque jour sa morale mécanique, imprimant un mouvement perpétuel à ce tout-puissant rouage gouvernemental, grâce auquel on parvient à ne rien faire, à ne rien laisser faire. Car, dès qu’un fonctionnaire public est assez malavisé pour vouloir faire quelque chose et paraît, grâce à quelque accident incroyable, avoir la moindre chance d’y réussir, le ministère des Circonlocutions ne manque jamais de lui tomber dessus avec une note ou un rapport, ou une circulaire qui extermine du coup l’audacieux employé. C’est cet esprit d’aptitude universelle qui, petit à petit, a conduit le ministère des Circonlocutions à se mêler de tout. Mécaniciens, chimistes et physiciens, soldats, marins, pétitionnaires, auteurs de mémoires, gens ayant des griefs, gens voulant empêcher des griefs, redresseurs de torts, fripons, dupes, gens dont on refuse de récompenser le mérite, gens dont on refuse de punir l’incapacité ; tous sont enfouis pêle-mêle dans le ministère des Circonlocutions, sous des rames de papier tellière.

Une foule de gens se perdent dans le ministère des Circonlocutions. Des malheureux envers lesquels on a commis des injustices, ou qui arrivent chargés de projets pour le bien-être général (et ils feraient mieux de commencer par apporter des griefs tout faits, que d’employer cette recette britannique infaillible pour se créer de nouveaux sujets de plainte) ; qui, à force de temps et d’angoisses, ont traversé sains et saufs les autres administrations ; qui, d’après les règlements établis, ont été bousculés dans ce bureau-ci, éludés