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cette histoire, quand même il n’eût pas entendu ce nom de petite mère, quand même il n’eût pas vu Maggy caressant la main grêle et mignonne de sa protectrice, quand même il n’eût pas aperçu les larmes qui tremblaient dans ces gros yeux incolores, quand même il n’eût pas prêté l’oreille au sanglot qui avait étouffé le rire hébété de la protégée. Lorsque plus tard il songea à cette rencontre, il ne revit jamais dans sa pensée, sans attendrissement, cette sale porte cochère où le vent et la pluie s’engouffraient, et où la manne aux pommes de terre boueuses attendait qu’on les renversât ou qu’on les ramassât de nouveau. Jamais, jamais !

Leur promenade touchait presque à sa fin, et ils quittèrent l’endroit où ils s’étaient réfugiés pour prendre congé l’un de l’autre. Mais pour contenter Maggy, il ne fallut rien moins qu’une longue station à quelques pas de la prison, devant une boutique d’épicier, où elle les arrêta pour leur faire admirer ses connaissances littéraires. Elle savait à peu près lire, et elle énuméra assez correctement les grands chiffres (c’était à ceux-là qu’elle donnait la préférence) qui indiquaient les prix. Elle trébucha aussi, sans commettre trop d’erreurs, à travers diverses recommandations philanthropiques qui engageaient les passants à : essayez notre mélange,— essayez notre soushong ordinaire, — essayez notre péko à saveur orangée, qui peut soutenir la comparaison avec les thés les plus parfumés, tout en priant le public de se tenir en garde contre les charlatans du voisinage et les denrées falsifiées. Lorsque Arthur Clennam vit, à la légère rougeur qui animait le visage de la petite Dorrit chaque fois que Maggy devinait juste, combien elle prenait plaisir au succès de sa protégée, il sentit qu’il pourrait, s’il voulait, les tenir là, à convertir en bibliothèque à leur usage la montre de l’épicier, jusqu’à ce que la pluie et le vent fussent fatigués.

Enfin la cour extérieure de la geôle les reçut, et là, il dit adieu à la petite Dorrit. Bien petite, en effet : il l’avait toujours trouvée telle ; mais jamais elle ne lui avait paru plus petite que lorsqu’il la vit rentrer dans la loge de la prison, cette petite mère, suivie de sa grosse fille.

La porte de la cage s’ouvrit, et, lorsque le petit oiseau y fut rentré volontiers en battant des ailes, Arthur Clennam s’éloigna.