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prenant ses deux grosses mains qu’elle frappa l’une contre l’autre. Un monsieur qui arrive de je ne sais combien de milliers de lieues d’ici, qui veut savoir ton histoire !

Mon histoire, petite mère ?

— C’est moi qu’elle appelle ainsi, remarqua Dorrit en rougissant un peu. Elle m’est très attachée. Sa vieille grand-mère n’a pas été aussi bonne pour elle qu’elle aurait dû, n’est-ce pas, Maggy ? »

Maggy fit un signe de tête négatif, transforma son poing fermé en un vase à boire, le porta à sa bouche et dit : « Genièvre. » Puis elle se mit à frapper un enfant imaginaire, en ajoutant : « Manche à balai et pincettes.

— À l’âge de dix ans, reprit Dorrit, les yeux fixés sur le visage de la pauvre fille, Maggy eut une vilaine fièvre, monsieur, et depuis ce temps-là elle n’a plus vieilli.

— Dix ans, répéta Maggy avec un signe de tête approbateur. Mais quel bel hôpital ! C’est là qu’on est bien, n’est-ce pas ? Oh ! le bel endroit !

— Elle n’avait jamais eu un moment de tranquillité avant d’aller là, monsieur, reprit la petite Dorrit en se tournant vers Arthur et parlant bas ; aussi elle ne tarit pas quand on la met sur ce chapitre.

— Quels bons lits ! s’écria Maggy. Quelles limonades ! quelles oranges ! quelles délicieuses soupes ! quel vin ! quels bons morceaux de poulet ! Oh ! n’est-ce pas que c’est un endroit ravissant pour ceux qui peuvent y demeurer ?

— Aussi Maggy y est demeurée le plus longtemps qu’elle a pu, poursuivit sa petite mère du même ton qu’auparavant, comme si elle racontait une histoire pour amuser un enfant ; et enfin, lorsqu’on n’a plus voulu la garder, il a bien fallu qu’elle s’en allât. Alors, comme elle ne devait jamais avoir plus de dix ans tant qu’elle vivrait…

— Tant qu’elle vivrait, répéta Maggy.

— Et comme elle était très faible, si faible que, lorsqu’elle commençait à rire, elle ne pouvait plus se retenir… et c’était bien dommage. »

Maggy devient tout à coup très sérieuse.

« La grand’mère ne savait trop que faire d’elle, et pendant plusieurs années elle se montra très, très méchante. À la fin, avec le temps, Maggy commença à écouter ce qu’on lui disait, et à tâcher d’être bien sage et bien attentive et bien laborieuse ; et petit à petit on la laissa sortir et rentrer aussi souvent qu’elle voulait, et elle gagna assez pour se suffire à elle-même, et aujourd’hui elle se tire d’affaire toute seule. Et voilà, poursuivit la petite Dorrit en frappant de nouveau les deux grosses mains l’une contre l’autre, voilà toute l’histoire de Maggy, ainsi que Maggy peut vous l’affirmer elle-même ! »

Mais Arthur Clennam aurait deviné ce qui manquait pour compléter