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Elle avait environ vingt-huit ans, de gros os, de gros traits, de grosses mains, de gros pieds, de gros yeux, et pas de cheveux. Ses gros yeux étaient transparents et presque incolores ; le jour ne paraissait guère les affecter, car ils conservaient une immobilité anormale. On lisait aussi sur son visage cette expression attentive qu’on remarque chez les aveugles ; mais elle n’était pas aveugle, ayant conservé un œil qui voyait tant bien que mal. Quoique sa physionomie ne fût pas d’une laideur excessive, il s’en fallait de peu, car elle eût été repoussante sans son sourire, sourire plein de bonheur et assez agréable en lui-même, mais qui faisait mal à voir, parce qu’il était là à poste fixe sans s’effacer jamais. Un vaste bonnet blanc, orné d’une masse de ruches épaisses qui se relevaient ou s’abaissaient sans cesse, rendait si difficile l’équilibre de son vieux chapeau noir, qu’il retombait en arrière et restait suspendu par les brides, comme l’enfant que la bohémienne porte attaché sur son dos. Une commission de fripiers aurait seule été capable de faire un rapport sur les étoffes qui composaient le reste de sa pauvre toilette ; mais cette toilette, vue à vol d’oiseau, ressemblait à une collection d’herbes marines, auxquelles on aurait ajouté çà et là une gigantesque feuille de thé. Son châle surtout avait l’air d’une gigantesque feuille de thé, bouillie longtemps dans la théière.

Arthur Clennam regarda la petite Dorrit avec une expression de visage qui voulait dire : « Oserais-je vous demander quelle est cette dame ? » La petite Dorrit, dont Maggy avait commencé à caresser la main en continuant à l’appeler petite mère, répondit de vive voix (les interlocuteurs se trouvaient sous une porte cochère où la plupart des pommes de terre avaient roulé en tombant) :

« C’est Maggy, monsieur.

— Maggy, monsieur, répéta comme un écho le personnage ainsi présenté. Petite mère !

— C’est la petite fille… reprit Dorrit.

— Petite fille, répéta Maggy.

— De ma vieille nourrice, qui est morte depuis longtemps. Maggy, quel âge as-tu ?

— Dix ans, mère, répondit Maggy.

— Vous ne pouvez vous figurer comme elle est bonne, ajouta Dorrit avec une tendresse infinie.

— Comme elle est bonne, répéta Maggy, renvoyant d’une façon très expressive le pronom souligné à sa petite mère.

— Et comme elle est adroite, poursuivit Dorrit. Elle fait les commissions aussi bien que qui que ce soit. » Maggy se mit à rire. « Elle est aussi sûre que la banque d’Angleterre. » Maggy se mit à rire plus fort. « Elle gagne sa vie sans rien demander à personne, monsieur ! dit la petite Dorrit d’un air de triomphe, mais parlant un peu plus bas ; très sérieusement, monsieur !

— Quelle est son histoire ? demanda Clennam.

— Voilà de quoi te rendre fière, Maggy ! s’écria Dorrit lui