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nent là ne sont pas nécessairement pour cela de mauvaises gens. J’ai connu beaucoup de personnes industrieuses, braves et honnêtes, qui y ont été amenées sans qu’il y ait eu de leur faute. Presque tous ont bon cœur et s’aident entre eux. Et je serais par trop ingrate si j’oubliais que j’y ai passé bien des heures tranquilles et agréables ; que, lorsque j’étais toute petite, j’y ai trouvé un excellent ami qui m’aimait beaucoup ; que c’est là que j’ai appris mon état, que j’y ai travaillé, que j’y ai dormi paisiblement. Il y aurait presque de la lâcheté et de la méchanceté à ne pas m’y attacher un peu, après tout cela ! »

Soulagée par ces confidences où elle avait épanché le trop-plein de son cœur fidèle, la petite Dorrit ajouta d’un ton modeste, avec un regard qui semblait implorer l’indulgence de son nouvel ami :

« Je n’avais pas l’intention de vous en dire tant, et c’est la seconde fois seulement qu’il m’arrive d’en parler. Mais il me semble que cela vous mettra mieux à même de juger des choses que vous n’avez pu le faire hier soir. Je vous disais alors que je regrettais que vous m’eussiez suivie, monsieur. Maintenant je le regrette moins, pourvu que vous ne pensiez pas… je ne le regrette même plus du tout, pourvu que je n’aie pas parlé trop confusément pour que… pour que vous me compreniez bien, car j’ai grand’peur qu’il n’en soit rien. »

Arthur répondit avec une sincérité parfaite qu’elle avait grand tort de le croire, et, se plaçant entre elle et la rafale, la protégea de son mieux.

« Je me sens encouragé maintenant, reprit-il, à vous demander encore quelques renseignements. Votre père a-t-il beaucoup de créanciers ?

— Oh ! beaucoup.

— Je veux dire beaucoup de créanciers opposants qui le retiennent où il est ?

— Oh ! oui, beaucoup !

— Savez-vous… je pourrais sans doute obtenir ce renseignement ailleurs, si vous n’êtes pas à même de me le donner… savez-vous quel est celui d’entre eux qui possède le plus d’influence ? »

La petite Dorrit répliqua, après avoir réfléchi un peu, qu’elle se rappelait avoir entendu parler autrefois d’un M. Tenace Mollusque, personnage très puissant. Il était commissaire du gouvernement, ou membre d’un conseil, ou administrateur, ou quelque chose. Il demeurait dans Grosvenor Square, à ce qu’elle croyait, ou tout près de là. Il occupait une place… un emploi très élevé dans le ministère des Circonlocutions. La petite Dorrit paraissait s’être fait dès l’enfance une idée si terrible de ce formidable M. Tenace Mollusque de Grosvenor Square ou des environs, et du bureau des Circonlocutions, que le nom seul parut l’intimider.

« Il n’y aura pas de mal, pensa Arthur, d’aller voir ce M. Tenace Mollusque. »

La pensée ne se présenta pas à lui si rapidement que la petite Dorrit ne pût l’intercepter au passage.