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— Ce n’est rien. J’avais un très bon lit.

— Oh ! oui, répondit-elle avec vivacité ; je crois qu’il y a d’excellents lits au café. »

Arthur remarqua qu’aux yeux de la petite Dorrit le café était un hôtel magnifique, et qu’elle en paraissait fière.

« Je sais que tout y coûte très cher ; mais père m’a dit qu’on pouvait s’y procurer un dîner superbe. On y trouve même du vin, ajouta-t-elle timidement.

— Y avez-vous dîné quelquefois ?

— Oh ! non. Je ne suis jamais allée que dans la cuisine, pour chercher de l’eau chaude. »

Quand on pense qu’à son âge elle en était encore à ne parler qu’avec respect du luxe d’un établissement comme l’hôtel de la Maréchaussée !

« Je vous ai demandé hier soir, dit Clennam, comment vous aviez fait connaissance avec ma mère. Aviez-vous jamais entendu prononcer son nom avant qu’elle vous envoyât chercher ?

— Non, monsieur.

— Pensez-vous que votre père l’ait jamais entendu ?

— Non, monsieur. »

Il lut tant de surprise dans le regard qui rencontra sa vue (la petite Dorrit eut bien peur, par parenthèse, lorsque leurs yeux se rencontrèrent et détourna bien vite les siens), qu’il crut devoir ajouter :

« J’ai mes raisons pour vous faire cette question, quoique je ne puisse pas très bien vous les expliquer ; mais surtout n’allez pas supposer un seul instant qu’elles soient de nature à vous causer la moindre alarme ou la moindre inquiétude ; au contraire. Ainsi donc, vous croyez qu’à aucune époque de la vie de votre père mon nom de Clennam ne lui a été connu particulièrement ?

— Oui, monsieur. »

Il devina, à l’intonation de sa voix qu’elle levait de nouveau les yeux vers lui avec ces lèvres entr’ouvertes qui annonçaient une agitation intérieure ; il regarda donc devant lui, plutôt que de faire battre plus vite encore le cœur de la jeune fille en lui adressant d’autres questions.

Ce fut ainsi qu’ils s’avancèrent sur le pont suspendu, qui, au sortir des rues tumultueuses, semblait aussi tranquille que s’il se fût trouvé en pleine campagne. Le vent soufflait, les rafales humides passaient auprès d’eux en grondant, enlevant les flaques d’eau sur la route et sur le trottoir et les faisant pleuvoir dans la rivière. Le vent chassait avec furie les nuages qui parsemaient un ciel couleur de plomb ; la fumée et le brouillard semblaient vouloir lutter de vitesse avec les nuages, et la sombre rivière roulait dans la même direction. Quant à la petite Dorrit, elle semblait la plus petite, la plus tranquille, la plus faible des créatures du bon Dieu.

« Laissez-moi vous mettre en voiture, » dit Arthur Clennam, qui fut sur le point d’ajouter : « Ma pauvre enfant ! »