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Carrefour des Éclopés, il se fit cette question, pendant la nuit tout entière :

— Sait-elle que je l’admire ? Sait-elle que je l’adore ? Peut-elle se douter qu’elle m’a conquis corps et âme ? Si elle s’en doute, prend-elle seulement la peine d’y songer ? Pauvres cœurs inquiets que nous sommes ! N’est-il pas étrange de penser que ces millions d’hommes qui dorment, momifiés depuis tant d’années, ont été amoureux comme nous autres qui vivons, qu’ils ont éprouvé les mêmes angoisses, fait les mêmes sottises, et qu’ils ont pourtant trouvé le secret d’être tranquilles après tout cela !

— George, que pensez-vous de Monsieur Obenreizer ? — demanda Wilding le lendemain. — Je ne veux pas vous demander ce que vous pensez de Mademoiselle Marguerite.

— Je ne sais, — dit Vendale, — je n’ai jamais bien pu savoir ce que je pensais de cet homme-là.

— Il est très-instruit et très-intelligent.

— Très-intelligent, pour sûr.

— Bon musicien.

Obenreizer avait fort bien chanté la veille.

— Très-bon musicien vraiment, — fit Vendale.

— Et il cause bien.

— Oui, — répétait toujours Vendale, — il cause bien. Savez-vous une chose, mon cher Wilding ? C’est qu’en pensant à lui il me vient l’idée qu’il ne sait pas se taire.

— Quoi ! — dit Wilding, — il n’est pas bavard jusqu’à l’importunité ?

— Ce n’est pas là ce que je veux dire. Mais lors-