Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mença Bintrey. — À peine vingt-quatre heures s’étaient-elles écoulées depuis votre départ que votre nièce commettait une imprudence… Avec toute votre pénétration même, vous n’auriez pu la prévoir ! Elle suivait son fiancé dans ce voyage, sans demander avis ni permission à qui que ce fût au monde, et sans autre compagnon pour la protéger en route qu’un garçon de cave au service de Vendale.

— Pourquoi ? — s’écria Obenreizer. — D’où lui était venu cette pensée de nous suivre, et comment avait-elle pris cet homme pour guide ?

— Je vais vous le dire, — répliqua froidement Bintrey. — Parce qu’elle soupçonnait qu’une querelle très-sérieuse avait dû avoir lieu entre vous et Vendale et qu’on la lui avait cachée ; parce qu’elle vous croyait — et avec raison — capable de servir vos intérêts et de satisfaire vos ressentiments par un crime. Aussitôt après votre départ, elle s’adressa à ce Joey Laddle que vous connaissez afin de savoir ce qui s’était passé entre vous et son maître. Un accident fort ordinaire arrivé à Vendale dans ses caves avait éveillé chez cet homme une superstition ridicule ; il était frappé de l’idée que Monsieur Vendale mourrait de mort violente. Votre nièce lui arracha cette prédiction insensée qui porta ses propres craintes à leur comble. Aussitôt Joey Laddle eut conscience du mal qu’il venait de faire, il se condamna lui-même à la seule expiation qu’il pouvait offrir : « Si mon maître est en danger, » dit-il à Mademoiselle Marguerite, « il est de mon devoir d’aller à son secours, et encore plus de veiller sur vous. » Ils se mirent donc en route tous les deux…