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L’AMI COMMUN.

« Noddy ? commença missis Boffin.

— Quoi ? ma chère, demanda le vieux boueur en suspendant sa promenade.

— Pardonne-moi cette observation ; mais n’as-tu pas été ce soir un peu sévère pour mister Rokesmith ; un peu trop… pas tout à fait, Noddy, comme tu étais autrefois ?

— Je l’espère bien, la vieille, répondit Boffin d’un air enjoué, sinon glorieux.

— Tu l’espères, Noddy ?

— Oui, ma vieille ; ce que nous étions autrefois ne conviendrait plus maintenant. Est-ce que tu es encore à t’en apercevoir ? Nos anciennes manières ne serviraient qu’à nous faire voler, tromper de toutes les façons. Autrefois nous étions pauvres, aujourd’hui nous sommes riches ; c’est une fameuse différence.

— Ah ! dit l’excellente femme, dont l’aiguille s’arrêta de nouveau, et qui soupira tout bas en regardant le feu ; oui, une bien grande différence !

— C’est pour cela que nous ne devons plus être les mêmes, continua Noddy. Il faut se conformer à sa position ; il le faut ; il n’y a pas à dire. Nous devons maintenant veiller à notre avoir, le défendre contre tous ; car c’est à qui étendra la main pour la fourrer dans notre poche ; et il ne faut pas oublier que l’argent produit l’argent, ainsi que toute autre chose.

— À propos de souvenir, dit l’excellente femme, qui avait posé son ouvrage, et qui, le menton dans sa main, regardait le feu d’un air rêveur, te rappelles-tu, mon bon Nod, avoir dit à mister Rokesmith la première fois qu’il est venu au Bower, — tu sais bien, quand il s’est arrangé avec nous, — de lui avoir dit que s’il avait plu au ciel de renvoyer John Harmon sain et sauf pour recueillir son héritage, nous nous serions bien contentés de notre monticule, et que tu n’avais pas besoin du reste.

— Oui, ma vieille, je m’en souviens ; mais dans ce temps-là, nous ne savions pas ce que c’était que d’avoir le reste. Nos souliers neufs étaient arrivés, mais nous ne les avions pas encore mis ; à présent que nous les portons, il faut marcher en conséquence. »

Missis Boffin reprit son ouvrage, et travailla sans rien dire.

« Quant à ce secrétaire, continua le boueur doré en baissant la voix, et en jetant les yeux vers la porte comme s’il avait craint qu’il n’y eût là quelque valet aux écoutes, il en est de lui comme des domestiques : il faut les aplatir, ou qu’ils vous aplatissent. Après toutes les histoires qu’on leur a débitées, un tas de mensonges sur ce que vous étiez dans le temps, si vous n’êtes pas fier avec eux, ils se croient autant que vous. Il n’y a pas de