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L’AMI COMMUN.

— Rien de bon, je vous assure. J’ai été longtemps sans y croire ; je ne voulais pas, je fermais les yeux, j’essayais de me tromper moi-même. C’est une chose si triste, que je ne sais comment la dire : Mister Boffin n’est plus ce qu’il était ; la prospérité le gâte.

— Je n’en crois rien, mon enfant.

— C’est malheureusement vrai ; il change de jour en jour ; pas pour moi ; il est à mon égard ce qu’il a toujours été ; mais pour les autres. Je le vois devenir capricieux, défiant, tyrannique ; il est dur et injuste ; enfin ce n’est plus le même. Si jamais la fortune a perdu un excellent homme, c’est bien lui. Et cela ne m’étonne pas ; la fascination de l’argent est si terrible ! Pensez donc ! J’en vois l’effet, je le déteste, je le redoute ; je sais que la fortune me sera encore bien plus mauvaise qu’à lui ; et je n’ai qu’une pensée, qu’un désir : être riche ! Dans la vie je ne vois qu’une chose : l’argent, l’argent, toujours l’argent, et pas d’autre existence que celle qu’il peut donner ! »


V

LE BOUEUR DORÉ TOMBE EN MAUVAISE COMPAGNIE


La pénétration de Bella se trouvait-elle en défaut, ou vraiment le boueur doré, passant dans le creuset, ne produisait-il que des scories ? Les mauvaises nouvelles marchent vite ; nous ne tarderons pas à le savoir.

Il existait, sur l’un des côtés de la somptueuse demeure, une pièce qui portait le nom de chambre de mister Boffin. Beaucoup moins grande que toutes les autres, elle était infiniment plus agréable, en raison d’un certain air de chez-soi que le despotisme du tapissier avait banni du reste de l’hôtel. Bien que d’une situation modeste, car elle donnait sur la petite rue dont Silas occupait jadis le coin, n’ayant aucune prétention au velours, au satin et aux dorures, cette pièce commode et simple avait acquis dans la maison une position analogue à celle d’une ample robe de chambre, ou d’une large paire de pantoufles, et quand la famille voulait se donner une bonne soirée, c’était là que, de fondation, elle allait goûter ce plaisir.

Le soir même de l’anniversaire, ayant appris, en rentrant,