Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/82

Cette page a été validée par deux contributeurs.
78
L’AMI COMMUN.

ensuite sur les lèvres de son père. « C’est un baiser pour vous, Pa. À présent me voilà sérieuse. J’ai à vous dire… Voyons un peu… quatre secrets. Oui, Pa ; des choses très-graves ; mais entre nous ; pas un mot à personne ; vous savez !

— Allons, chérie, le no 1 ? demanda le père en installant son bras d’une façon confidentielle.

— Le no 1, Pa… Vous allez être foudroyé. De qui supposez-vous que j’ai reçu des propositions ? » Elle ne put s’empêcher de rougir, en dépit de l’insouciance qu’elle affectait. Le Chérubin la regarda en face, regarda par terre, la regarda de nouveau et déclara qu’il ne savait pas.

— De mister Rokesmith !

— Pas possible, ma chère !

— De mister Rokesmith, Pa ! Qu’en dites-vous ? »

Le Chérubin lui renvoya sa question : « Et toi, mon amour ?

— J’ai répondu non ; cela va sans dire.

— Certes, confirma le Chérubin d’un air rêveur.

— Et je lui ai dit ce que j’en pensais : un abus de confiance, un outrage envers moi.

— Assurément ; je n’en reviens pas. Il aurait dû sonder le terrain avant de se commettre ainsi. Après tout, maintenant que j’y pense, je le soupçonne d’avoir toujours eu de l’admiration pour toi.

— Un cocher de fiacre peut m’admirer, dit Bella avec un grain de la hauteur maternelle.

— Cela doit même arriver souvent, dit le Chérubin. Voyons le no 2.

— C’est à peu près la même chose, bien que ce soit moins ridicule : mister Lightwood se proposerait, si je voulais bien le permettre.

— Et tu ne lui en donnes pas la permission ?

— Naturellement, répondit la charmante fille. Il me déplaît.

— Cela suffit, dit le père.

— Mais non, reprit-elle en le secouant de nouveau, cela ne suffit pas. Vous oubliez toujours ma cupidité. Qu’il me déplaise ou non, cela ne fait rien à l’affaire ; ce qui suffit, c’est qu’il n’a pas de fortune, pas de clientèle, pas d’espérances ; en un mot, rien que des dettes.

— Ah ! fit le père avec un certain abattement. Le no 3, chérie ?

— Ceci est différent, Pa ; c’est quelque chose de bon, de généreux, de parfait. Missis Boffin me l’a dit elle-même, en confidence… Oui Pa, de sa propre bouche, et il n’y en a pas au monde de plus véridique et de plus sûre. Elle m’a dit qu’ils désiraient me voir bien mariée ; et que si je faisais un mariage