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L’AMI COMMUN.

« Lizzie ! reprend-il en regardant le feu, Lizzie ! Et relevant la tête : Vous ne m’avez pas dit son nom de famille ; je serai plus communicatif ; elle s’appelle Hexam. J’ai même dans l’idée que je connais le séduisant compère, celui pour qui elle a du penchant. N’est-ce pas un homme de loi ?

— Je crois qu’il en a le titre.

— Je le crois aussi ; un nommé Lightwood, n’est-ce pas ?

— Non, monsieur, pas du tout.

— Allons ? vieux drôle, comment s’appelle-t-il ? demande Fledgeby en répondant au regard du Juif par un clignement de ses petits yeux.

— Mister Wrayburn, répond le vieillard.

— Par Jupiter ! s’écrie Fledgeby, j’aurais cru que c’était l’autre ; quant à celui-là, je n’y aurais jamais pensé. Du reste, ils se valent. Vous pouvez choisir et mettre dedans celui qui vous plaira, vieux fourbe, je ne m’y opposerai pas ; ils sont trop contents d’eux pour que cela ne soit pas tout plaisir. Néanmoins, ce Wrayburn est bien l’être le plus impassible que j’aie jamais rencontré. Avec cela, une barbe superbe, et dont il est assez fier ! Vous avez bien fait, vieux drôle, très-bien fait. Continuez, et bonne chance. »

Ravi de cet éloge imprévu, mister Riah demande s’il n’a pas d’autres ordres à recevoir.

« Non, Judas ; vous pouvez partir, et aller à tâtons exécuter ceux qui vous ont été donnés. »

Sur ces aimables paroles, le Juif reprend son gourdin, son large chapeau, et salue son auguste maître en ayant plutôt l’air d’une créature supérieure bénissant avec bonté mister Fledgeby, que d’être sous la domination de cet indigne.

Resté seul, Fascination ferme sa porte, et revient au coin du feu. « Bien joué ! se dit-il à lui-même. Tu vas lentement, Fledgeby, mais tu arrives sûrement. » Et pliant les genoux, écartant les jambières du pantalon turc, il se répète deux ou trois fois cet éloge d’un air de complaisance. « Un joli coup, poursuit-il, je m’en flatte ; et coller un Juif par la même occasion ! J’apprends l’histoire chez Lammle ; un autre aurait couru aussitôt chez Riah ; moi, pas du tout ; j’ai marché à petits pas, et suis arrivé au but. »

Ce qu’il dit là est très-vrai ; il n’a pas l’habitude de sauter, ni de courir, d’avancer franchement vers un objet quelconque, mais de ramper dans la vie, et de se traîner vers tout ce qu’il veut atteindre.

« À ma place, continue Fascination en cherchant ses favoris, un Lightwood, ou un Lammle, aurait bondi sur ce Juif, et lui