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TROISIÈME PARTIE

LONG DÉTOUR



I

LOGÉS À TRISTE-ENSEIGNE


C’était un jour d’épais brouillard. Le Londres vivant, les yeux rouges, les poumons irrités, la respiration sifflante, clignotait, éternuait et suffoquait. Le Londres inanimé était un spectre fuligineux, qui, partagé entre le désir d’être vu, et celui de rester invisible, n’était complètement ni l’un ni l’autre. Le gaz flambait dans les boutiques d’un air hagard et malheureux, comme un être nocturne qu’on oblige à sortir en plein jour ; et, quand d’aventure, le soleil indiquait sa présence à travers les tourbillons et les remous du brouillard, il paraissait mort, aplati et glacé.

Dans les environs, également, c’était un jour de brume ; mais à la campagne le brouillard était gris, tandis qu’à Londres il était d’un jaune foncé à la lisière, devenait brun un peu plus loin, brunissait encore, et brunissant toujours, finissait par être d’un noir roussâtre au cœur de la Cité, qu’on appelle Sainte-Mary-Axe. De n’importe quel point de la rangée de collines qui se déploie vers le nord, vous auriez pu voir de temps à autre les édifices les plus hauts s’efforcer de lever la tête, et de la sortir de ces flots de brume ; surtout le dôme de Saint-Paul, qui semblait avoir de la peine à mourir ; mais rien de tout cela n’était visible du fond des rues qui se déroulaient au pied de ces monuments, et où la ville entière n’était qu’un amas de vapeurs chargé du bruit étouffé des rues, et enveloppant un catarrhe gigantesque.