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L’AMI COMMUN.

En attendant le plaisi d’voir la personne que vous savez, et pour qui qu’ vous avez répondu, j’ souhaite le bonjour à ces chers agneaux et à leur savant gouverneur. »

Ces paroles dites, Riderhood s’éloigna, laissant le malheureux Headstone continuer sa leçon comme il pouvait, et les élèves chuchoter en observant la figure du maître, jusqu’au moment où l’attaque, depuis longtemps imminente, finit par se produire.

Le surlendemain était un samedi, jour de congé. Bradley se leva de bonne heure avec l’intention de se rendre à l’écluse, et d’y aller à pied. Avant d’éteindre sa chandelle, car le jour n’était pas venu, il fit un petit paquet de sa montre d’argent et de la ganse de crin qui lui servait de chaîne ; puis ayant écrit ces mots à l’intérieur du papier : « Soyez assez bonne pour me garder ces objets, » il adressa le petit paquet à miss Peecher, et le déposa au coin le plus abrité du petit banc, qui était sous le petit porche de la petite maîtresse de pension.

C’était une froide matinée, au vent d’est glacial, et Bradley frissonna en refermant la petite porte. La neige, qui la surveille avait bordé ses carreaux d’un léger duvet, était toujours dans l’air, et tourbillonnait par petits flocons fouettés par ce grand vent. Bradley marchait déjà depuis deux heures et avait traversé la plus grande partie de Londres, quand apparut le jour tardif. Il entra dans l’affreux cabaret où il avait quitté Riderhood, le matin de leur première entrevue ; il déjeuna debout, appuyé au sale comptoir, et, tout en mangeant, regarda d’un air sombre un homme qui occupait la place où avait été Riderhood, le matin dont nous parlons.

Il avait marché toute la journée, et suivait le chemin de halage quand la nuit arriva. Deux ou trois milles le séparaient encore de l’écluse. Ses pieds étaient écorchés ; il ralentit le pas, mais continua sa route. Une couche de neige tapissait le chemin, bien que d’un lit peu épais. Dans les endroits abrités, le bord de l’eau était frangé de glace ; ailleurs la rivière était couverte de glaçons flottants. Bradley voyait la glace et la neige ; il pensait à la distance qui lui restait à franchir, et ne remarqua pas autre chose jusqu’au moment où il aperçut une lumière qu’il savait venir de la maison de l’éclusier. Il s’arrêta, et regarda autour de lui : la glace et la neige, lui et cette faible lumière occupaient toute la scène, et l’occupaient tout seuls. Devant lui était la place où il avait frappé ces coups inutiles, la place où, raillerie du sort ! il voyait Lizzie, devenue la femme d’Eugène. Derrière lui se trouvait l’endroit où, les bras tendus, ses élèves l’avaient livré en criant son nom. Entre ces deux endroits, là-bas où il voyait cette lueur, était l’homme de qui