Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/354

Cette page a été validée par deux contributeurs.
350
L’AMI COMMUN.

chambre. Missis Boffin est rayonnante ; des larmes de joie inondent son aimable visage. Elle bat des mains, s’élance vers Bella qu’elle presse sur son cœur. « Chère fille ! quand je pense que nous l’avons vu marier, Noddy et moi, sans pouvoir lui souhaiter d’être heureuse, ni même lui dire que nous étions là ! Chère femme de John, mère de son petit enfant, ma belle chérie, mon trésor, ma toute brillante, soyez la bienvenue dans votre propre demeure. »


XIII

EXPLICATION


Au milieu du vertige que lui causaient toutes ces merveilles, ce qui paraissait de plus merveilleux à Bella c’était la figure du boueur. Que missis Boffin éprouvât une joie sincère, qu’elle fût toute expansion et franchise, que son visage ne reflétât que des sentiments nobles et généreux, n’avait rien d’étonnant pour la jeune femme : c’était ainsi qu’elle l’avait toujours connue. Mais que le vieux boueur eût cet air de jubilation, qu’il les regardât, elle et John, avec cette bonne figure rougeaude, ces yeux pétillants de gaîté, comme un gros bon génie d’humeur joviale, c’était miraculeux. Quelle différence avec la physionomie qu’il avait lors de cette affreuse scène, qui s’était passée là, dans cette même pièce ! Qu’étaient devenues ces lignes creusées par le soupçon, la cupidité, l’avarice, et qui le défiguraient ?

Placée entre John et Bella, qu’elle avait fait asseoir sur l’ottomane en face du vieux boueur qui rayonnait de plus en plus, missis Boffin laissa déborder sa joie. Elle battit des mains, se frappa les genoux en se balançant, prit sa toute belle dans ses bras, et, passant d’un accès de gaieté à un accès de tendresse, ne cessait de l’embrasser que pour éclater de rire.

« Vieille lady, vieille lady ! s’écria enfin mister Boffin, si tu ne commences pas, il faudra qu’un autre s’en mêle.

— Je commence, Noddy, je commence : c’est que, vois-tu, dans un pareil bonheur, la chose n’est pas facile ; on ne sait par où s’y prendre. Bella, ma chère, qui ai-je à côté de moi ?

— Mon mari, dit Bella.

— Je le sais bien ; mais comment s’appelle-t-il ?

— Rokesmith.

— Pas du tout, répliqua missis Boffin en battant des mains et en secouant la tête.