Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/348

Cette page a été validée par deux contributeurs.
344
L’AMI COMMUN.

— Vraiment ! répondit l’inspecteur avec quelque surprise ; mais c’est un sexe qu’on n’a jamais fini d’étudier ; il n’est rien qu’une femme ne puisse accomplir quand elle l’a résolu ; la mienne est dans ce cas-là. Eh bien ! madame, ce cher monsieur, dont vous êtes l’épouse, a été la cause d’une foule de démarches qu’il nous aurait épargnées s’il était venu me donner les explications dont on avait besoin. Il ne l’a pas fait ; c’est à merveille. Conséquemment vous pensez, et vous avez bien raison, qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer de la demande que j’ai à lui faire ; en d’autres termes, pas d’inquiétude à avoir si je le prie de venir avec moi pour qu’il puisse s’expliquer. »

Ces derniers mots furent prononcés par M. l’inspecteur d’une voix plus vibrante, et accompagnés d’un regard qui brilla d’un éclat officiel.

« Est-ce une arrestation ? demanda froidement Rokesmith.

— Pourquoi discuter ? répondit l’inspecteur avec bienveillance. Il doit suffire que je vous propose de venir avec moi.

— Dans quel but ?

— Le ciel me bénisse ! pourquoi discuter ? Je n’en reviens pas : un homme de votre éducation !

— De quoi m’accusez-vous ?

— Devant une dame, monsieur ! dit l’inspecteur en hochant la tête d’un air de reproche. Un homme bien élevé, n’avoir pas plus de délicatesse ! Eh bien ! donc, vous êtes soupçonné d’avoir trempé dans l’affaire Harmon. Que ce soit avant le meurtre, que ce soit après, je n’en dis rien. Je ne dis pas non plus que, sachant le fait, vous l’ayez caché par un motif quelconque.

— Dans tous les cas, répondit John, vous ne m’avez pas surpris ; je vous attendais ce soir.

— Ne discutez pas, répliqua l’inspecteur ; je dois vous en informer, toutes vos paroles se tourneraient contre vous.

— Je ne le pense pas.

— Je vous en réponds, monsieur. Et maintenant que vous êtes averti, persistez-vous à dire que vous attendiez ma visite ?

— Oui, monsieur ; je vous en dirai davantage si vous voulez passer avec moi dans la chambre voisine. »

Ayant donné un baiser rassurant à sa femme, Rokesmith, à qui l’inspecteur eut l’obligeance d’offrir le bras, prit une bougie et sortit avec ce dernier. Leur conférence dura environ une demi-heure ; quand ils revinrent auprès de Bella, le visage du fonctionnaire exprimait un profond étonnement.

« J’ai invité monsieur à faire une promenade avec nous, dit John ; tu dois être de la partie ; offre-lui de se rafraîchir, il prendra quelque chose pendant que tu mettras ton chapeau. »