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L’AMI COMMUN.

chose qui lui créait le besoin immédiat de recourir au révérend Franck, pour qu’il la délivrât de ce fardeau incommode. Il était arrivé mainte fois à cet excellent homme de se lever dès l’aurore, et de se rendre chez missis Sprodkin (la disciple en question), étouffant, sous le sentiment du devoir, celui qu’il avait du ridicule de la brave dame, et sachant fort bien que le rhume qu’il allait prendre serait l’unique résultat de sa démarche. Toutefois, en dehors de leur tête-à-tête, le révérend Franck et sa petite femme en venaient bien rarement à insinuer que mistress Sprodkin ne valait pas l’embarras qu’elle donnait ; et ils supportaient ledit embarras comme ils faisaient de tous les autres. Enfin cette ouaille exigeante semblait posséder un sixième sens qui lui indiquait l’instant où sa visite pouvait être la plus importune, instant qu’elle ne manquait pas de choisir pour apparaître dans le vestibule du pasteur. Lors donc que le révérend Franck eût promis à Lightwood de l’accompagner avec missis Milvey, il dit à cette dernière : « Dépêchons-nous, Margaretta, ou nous serons pris par missis Sprodkin. — Oh ! oui ! car, c’est une gâte-projet ; et si assommante ! » avait répondu la chère petite femme avec sa gentille manière de souligner certains mots. Sa phrase n’était pas achevée qu’on vint lui dire que l’objet de ses craintes était en bas, et désirait consulter son pasteur sur une matière spirituelle.

Les divers points que la chère dame tenait à élucider ayant rarement un caractère d’urgence (par exemple, qui avait engendré un tel ? ou quelque renseignement à l’égard des Amorites), missis Milvey eut l’idée de congédier l’importune en lui faisant remettre du thé, du sucre et un petit pain au beurre. La veuve accepta ces dons ; mais ne voulant pas partir sans avoir salué le révérend, elle l’attendit au passage ; et mister Milvey, ayant eu l’imprudence de lui dire : « J’espère que vous allez bien » s’attira un long discours au sujet du thé et du sucre, du pain et du beurre, devenus pour la vieille femme « de la myrrhe et de l’encens, des sauterelles et du miel sauvage. » Ayant dit ces paroles intéressantes, missis Sprodkin fut laissée dans le vestibule ; et mister et missis Milvey coururent à la gare, où ils arrivèrent en nage.

Tout ce que nous rapportons là est dit à l’honneur de ce couple chrétien ; excellent couple, dont les pareils se comptent par centaines ; gens consciencieux, qui passent leur vie à se rendre utiles, et qui, noyant les petitesses de leur œuvre dans sa grandeur, ne croient pas déroger en se mettant à la disposition de sottes créatures aussi incompréhensibles qu’exigeantes.

« Retenu au dernier moment par quelqu’un qui avait le droit