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L’AMI COMMUN.

de son ancienne physionomie lui passa sur le visage, et il essaya de sourire.

« Oui, dit Mortimer, c’est elle qui l’a deviné. Écoute-moi bien ; je vais t’envoyer Lizzie ; en la trouvant à ma place qu’elle ne quittera plus désormais, tu sauras que j’ai fait ta commission. Encore un mot, Eugène ; ta conduite est celle d’un honnête homme ; et je crois que si la Providence te rend à nous, dans sa miséricorde, tu auras le bonheur de posséder une noble femme, que tu aimeras comme elle le mérite.

— Pour cela j’en suis sûr ; mais je n’en reviendrai pas, Mortimer.

— Ce mariage, après tout, ne te rendra pas plus mal.

— Certes non. Mets ta figure contre la mienne, embrasse-moi, dans le cas où je n’y serais plus quand tu reviendras ; je t’aime, Mortimer. Va vite, ne sois pas inquiet ; si ma bonne Lizzie veut bien me prendre, je vivrai assez de temps pour qu’on puisse nous unir. »

La petite garde perdit courage en voyant se séparer les deux amis ; et tournant le dos au blessé, elle pleura de bon cœur — bien que tout bas — sous le voile épais de ses cheveux d’or.

Comme les rayons du soir allongeaient le reflet des arbres qui se miraient dans la rivière, la porte s’ouvrit doucement, et un pas léger traversa la chambre. « A-t-il sa connaissance ? » demanda Jenny à celle qui avait pris la place de Lightwood ; car dans l’ombre où elle était, la petite ouvrière ne voyait pas le blessé. « Oui, murmura Eugène, il reconnaît sa femme. »


XI

SUITE DE LA DÉCOUVERTE DE MISS WREN


Missis Rokesmith travaillait dans sa petite chambre ; elle avait près d’elle une corbeille remplie d’objets mignons, petits objets de toilette qui ressemblaient tellement à des habits de poupée, que la charmante couseuse paraissait faire concurrence à miss Wren. Il est probable que les sages conseils de la Ménagère anglaise n’avaient pas été réclamés ; car ce ténébreux oracle des familles britanniques ne s’apercevait nulle part. Toutefois, la jeune femme travaillait d’une main si habile qu’elle devait avoir pris des leçons de quelqu’un. L’amour est en toute chose