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L’AMI COMMUN.

que, d’ici à quelques années, je dirigerai les études de la pension où je me trouve ; la maîtresse de l’établissement étant veuve, j’ai l’espoir, bien qu’elle soit plus âgée que moi, j’ai l’espoir, dis-je, de l’épouser un jour. Si cela peut être pour vous une satisfaction de connaître l’avenir qui m’est ouvert, je suis heureux de vous annoncer que telle est la position à laquelle j’ai le droit de prétendre, pourvu que je conserve ma respectabilité. Enfin, monsieur, je me résume en vous disant que si vous avez le sentiment de vos torts envers moi, et le désir de les expier, ne fût-ce que légèrement, j’espère que vous songerez à la vie respectable que vous auriez pu avoir ; et que vous la comparerez avec la misérable existence que vous vous êtes faite par votre faute. »

N’est-il pas étrange que le malheureux Bradley prît à cœur de telles paroles, et en souffrît amèrement ? Peut-être s’était-il attaché à ce garçon pendant les longues années de travail qu’ils avaient passées ensemble ? Peut-être avait-il trouvé un allégement à sa tâche quotidienne dans ses rapports avec un esprit plus vif, plus pénétrant que le sien ? Peut-être un air de famille entre le frère et la sœur, quelque ressemblance dans la voix ? — Toujours est-il que lorsque Hexam eut fermé la porte, le malheureux Bradley courba la tête ; et pressant à deux mains ses tempes brûlantes, il rampa sur le plancher dans une agonie indescriptible, sans pouvoir répandre une larme.

Ce jour-là, Roger Riderhood ne s’était occupé que de la rivière. Il avait pêché la veille avec ardeur ; mais il avait commencé tard, la nuit était venue, la pêche n’avait pas été heureuse. Il s’y était remis dès le matin, cette fois avec plus de chance, et il avait rapporté à l’écluse le poisson qu’il avait pris, c’est-à-dire le paquet jeté la veille dans la Tamise par le faux batelier.


VIII

QUELQUES GRAINS DE POIVRE


Depuis la découverte que le hasard lui avait fait faire de l’hypocrisie et de la dureté qu’elle attribuait à mister Riah, Jenny Wren n’était pas retournée chez Pubsey. Il lui arrivait souvent, tout en poussant l’aiguille ou en taillant ses patrons, de moraliser sur les ruses et les allures de ce vénérable fourbe. Il l’avait bien trompée ! Quelquefois un doute lui traversait l’esprit ; mais