Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/264

Cette page a été validée par deux contributeurs.
260
L’AMI COMMUN.


— Je retire la chère mignonne, mon ange.

— Très-bien ; c’est d’un enfant pieux. Continuons : Vous avez toujours été…

— Toujours été, dit-il.

— Un petit animal exigeant, capricieux…

— Pas du tout ! s’écrie le Chérubin.

— Capricieux, tourmentant, égoïste et ingrat ; mais j’espère qu’à l’avenir vous serez meilleure ; et dans cet espoir je vous pardonne et vous bénis. »

Elle lui saute au cou et l’embrasse avec effusion, oubliant que c’est à lui de dire ces paroles.

« Si vous saviez, cher Pa, comme ce matin je pense au vieil Harmon, à la première fois qu’il m’a vue. J’étais bien en colère, n’est-ce pas ? vous me l’avez dit souvent ; je frappais du pied, je criais, je vous battais avec mon petit chapeau. Eh bien ! il me semble que je n’ai pas fait autre chose depuis que je suis au monde, que de frapper du pied et de vous battre avec mon affreux chapeau.

— Une plaisanterie, ma belle ; et vos chapeaux ont toujours été charmants, car je ne vous en ai jamais vu qui ne vous allât à ravir ; à moins que ce ne fût toi qui leur allât bien, mon trésor.

— Vous ai-je fait beaucoup de mal, pauvre Pa ? » Malgré ses remords elle ne peut s’empêcher de rire en se voyant frapper le Chérubin avec son petit chapeau.

« Non, mon enfant, tu n’aurais pas blessé une mouche.

— Hélas ! je le crains bien, je ne vous aurais pas battu si je n’avais pas cru vous faire mal. Et je vous pinçais les jambes ?

— Pas très-fort, mignonne. Mais je pense qu’il est temps…

— Oh ! oui, s’écrie-t-elle ; si je continue à jaser vous serez pris. Sauvez-vous, Pa, bien vite, bien vite. »

Ils remontent sur la pointe du pied ; elle tire sans bruit les verrous de la porte ; et le Chérubin, ayant reçu une dernière accolade, quitte la maison. Il se retourne quand il a fait quelques pas ; elle lui envoie un nouveau baiser, et lance son petit pied en avant pour lui rappeler sa parole. Il fait le même geste pour dire qu’il y sera fidèle, et s’éloigne le plus vite possible.

Après avoir rêvé dans le jardin pendant une heure environ, Bella regagne sa chambre où Lavinia dort toujours. Elle met un petit chapeau qu’elle a fait la veille, et qui pour être fort simple n’en est pas moins coquet.

« Je vais me promener, » dit-elle, en embrassant Lavinia.

Celle-ci fait un bond, murmure qu’il n’est pas encore temps de se lever, et retombe dans un profond sommeil.