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L’AMI COMMUN.

trats de vente de ces monticules, afin qu’on sache à un penny près ce qu’ils peuvent valoir. Vous donnerez également la liste des propriétés et objets de toute nature qui composent la fortune ; et quand la dernière pelletée de cendre aura été enlevée le partage aura lieu.

— C’est une horreur, s’écria Noddy en se prenant la tête à deux mains, une horreur, une horreur ! je mourrai dans un work-house.

— Enfin, reprit mister Wegg, vous avez fureté dans cette cour, vous y avez fouillé illégalement. Deux paires d’yeux, que le hasard avait mises sur vos traces, vous ont vu, parfaitement vu déterrer une bouteille hollandaise.

— Elle m’appartient, dit mister Boffin, c’est moi qui l’y avais mise.

— Qu’y avait-il dans cette bouteille ? demanda Silas.

— Ni espèces, ni bijoux, ni bank-notes ; rien dont on puisse tirer profit, je vous en réponds, sur mon âme. »

Wegg se retourna vers son associé, et d’un air capable et finaud : « M’attendant bien, dit-il, à une réponse évasive, je me suis arrêté à un chiffre, qui, je l’espère, obtiendra votre approbation : j’ai taxé ladite bouteille à mille livres. »

Mister Boffin poussa un gémissement.

« En outre, vous avez à votre service un faux chien nommé Rokesmith ; nous n’entendons pas qu’il ait à se mêler de nos affaires ; il devra être congédié.

— Il l’est déjà, répondit d’une voix sourde le malheureux Boffin, qui, la tête dans ses mains, se balançait comme une personne en proie à une vive douleur.

— Il l’est déjà ! répéta Wegg avec surprise. Eh bien ! alors, je crois que c’est tout. »

Le malheureux Boffin continuait à se balancer et à gémir ; Vénus le supplia d’avoir du courage, lui disant qu’il s’accoutumerait peu à peu à l’idée de changer de position ; qu’on lui laisserait le temps de s’y habituer ; et qu’à la longue…

Mais il n’entrait pas dans les vues de Silas d’accorder le moindre délai. « C’est oui ou non, dit-il ; pas de demi-mesures ! » Il le répéta plusieurs fois en agitant le poing devant le nez de sa victime, et en frappant le carreau de sa jambe de bois.

À la fin mister Boffin sollicita un répit d’un quart d’heure, et demanda qu’il lui fût permis de se promener dans la cour pendant ces quelques minutes. Mister Wegg n’y consentit qu’avec difficulté, et seulement à condition qu’il accompagnerait le boueur, ne sachant pas ce qu’il pourrait déterrer si on l’abandonnait à lui-même.