Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.
252
L’AMI COMMUN.

Ici l’anatomiste crut devoir intervenir, et fit observer qu’il comprenait que mister Boffin eût pris les paroles de Wegg au pied de la lettre ; d’autant mieux que lui, Vénus, avait pensé d’abord que le susdit valet était affligé d’une affection, ou d’une habitude nasale, très-désavantageuse dans les rapports sociaux, jusqu’à ce qu’il eût découvert que la description de Wegg devait être prise au figuré.

« Peu importe, dit Silas, d’une manière ou de l’autre ce garçon-là est ici ; et j’entends qu’il s’en aille. Je somme donc Boffin, avant d’aller plus loin, d’appeler ce drôle, et de lui ordonner de faire son paquet. »

En ce moment, le confiant Salop était dans la cour, où il faisait prendre l’air à ses nombreux boutons. Mister Boffin ouvrit la fenêtre, et lui fit signe de venir.

« Je somme Boffin, reprit Wegg, le poing sur la hanche et la tête de côté, d’apprendre à ce valet que c’est moi qui suis le maître ici. »

Conséquemment lorsqu’entra le jeune homme, l’obéissant Boffin lui dit : « Mon brave garçon, mister Wegg est ici le maître ; il n’a pas besoin de vous, et il faut vous en aller.

— Pour tout à fait, dit Wegg d’un ton sévère.

— Pour tout à fait ; répéta le boueur. »

Les yeux écarquillés, et les boutons dehors, Salop resta bouche béante ; mais sans perdre de temps, mister Wegg le conduisit jusqu’au portail ; et le poussant dans la rue par les épaules, referma la porte avec fracas.

« La smotphère, dit-il en rentrant, le visage un peu rougi par cette expulsion, la smotphère est plus pure, et l’on respire plus librement. Mister Vénus, veuillez, monsieur, prendre un siège. Vous pouvez vous asseoir, Boffin. »

Le pauvre Noddy, les mains dans les poches, se posa sur le bord de son banc, de manière à occuper le moins de place possible, et attacha sur le puissant Silas des regards conciliateurs.

« Ce gentleman, dit mister Wegg en désignant Vénus, a été plus doux à votre égard que je ne le serai bien certainement. Mais il n’a pas, comme moi, porté le joug de l’empire romain, ni été forcé de complaire à votre goût dépravé pour les histoires d’avares.

— Je n’ai jamais pensé, mon cher Wegg…

— Taisez-vous, Boffin ; vous parlerez quand on vous questionnera ; peut-être qu’alors vous ne serez pas si pressé de le faire. Vous jouissez d’une fortune qui ne vous appartient pas, mais pas du tout ; vous le savez sans doute.

— Vénus me l’a dit, soupira le vieux boueur.