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L’AMI COMMUN.

qui de droit, tout s’est donné pour un morceau de pain : d’assez jolies choses ; mais rien n’a monté.

— C’est ce que j’ai appris, dit Lightwood.

— Je voudrais bien savoir, si toutefois il est permis de le demander à l’homme de loi, qui a peut-être la confiance de la famille, dit Brewer, comment ces gens-là ont fait pour arriver à une débâcle totale ? »

Brewer a d’abord séparé les mots, puis les syllabes pour donner plus de force à ses paroles. Lightwood répond qu’en effet il a été consulté ; mais que n’ayant pas trouvé le moyen d’empêcher la saisie, il a renoncé à l’affaire. Il ne commet donc pas d’indiscrétion en supposant que ces gens-là se sont ruinés parce qu’ils faisaient plus de dépenses qu’ils n’avaient de revenu.

— Mais, s’écrie Vénéering, comment peut-on dépenser plus qu’on n’a ? c’est incompréhensible. »

Chacun sent que le coup a porté ; le chimiste, qui passe en offrant du champagne, a l’air de parfaitement comprendre et d’être en mesure d’expliquer cette énigme.

Anastasia pose sa fourchette, se presse les mains par le bout des doigts, et s’adressant au Père de l’Église qui ne fait pas moins de trois mille milles par semaine, demande comment une mère peut regarder son bébé, quand elle sait qu’elle dépense plus que son mari n’a de rente. Elle ne se le figure pas.

(Eugène dit, entre parenthèses, que mistress Lammle n’ayant pas d’enfant, n’a pas de bébé à regarder).

« C’est vrai, répond missis Vénéering, mais le principe est le même.

— Évidemment, dit Boots.

— Évidemment », ajoute Buffer ; mais il est dans la destinée de celui-ci de toujours nuire à la cause qu’il épouse. Chacun avait accepté que le principe était le même, Buffer le reconnaît, et, aussitôt, un murmure général s’élève pour attester que le principe est différent.

« Ce que je ne comprends pas, dit le Père aux trois cent soixante-quinze mille livres, zéro pence, zéro farthings, c’est que les gens dont il est question, s’ils étaient de la société, et je crois qu’ils en font partie ?… »

Vénéering est obligé de convenir qu’ils ont souvent dîné à sa table, et que c’est même chez lui qu’a eu lieu le repas de noces.

— Eh bien ! reprend le susdit Père, je ne comprends pas comment leurs dépenses, quand elles auraient excédé leurs revenus, ont pu les conduire à ce qui a été qualifié de débâcle totale ; car, pour les gens d’une certaine classe, il y a toujours moyen d’arranger les affaires. »