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L’AMI COMMUN.

— Oui, Pa ; et qui plus est…

— Un instant ma belle, j’y arriverai tout à l’heure. Mister Boffin ne l’a pas bien traité.

— Ignoblement, cher Pa, dit-elle le visage en feu.

— Ce qu’une certaine jeune fille, continua le père, en lui faisant signe d’être patiente, une jeune fille de ma connaissance, bien que très-cupide, a cru devoir désapprouver.

— Hautement, cher Pa, dit-elle avec un rire mêlé de larmes, en embrassant le Chérubin avec effusion.

— Sur quoi, cette jeune fille de ma connaissance m’ayant dit il y a quelque temps que la fortune gâtait mister Boffin, a senti, malgré sa cupidité, qu’elle ne pouvait à aucun prix vendre le sentiment qu’elle avait en elle du bien et du mal, du juste et de l’injuste, du vrai et du faux. Je ne me trompe pas. »

Nouveau rire mouillé de larmes, et nouveau baiser.

« D’où il résulte, poursuivit le Chérubin, d’une voix triomphante, tandis que la main de Bella lui gagnait doucement l’épaule, d’où il résulte que cette jeune fille, bien que très-cupide, a refusé le prix qui lui était offert, a quitté les riches vêtements qui en faisaient partie, a remis la petite robe que je lui avais donnée, et comptant sur mon approbation, est venue droit à moi. — Suis-je toujours dans le vrai ? »

Bella avait alors le front sur sa main, et cette dernière sur l’épaule paternelle.

« Cette jeune fille a bien fait, dit le bon père, elle a eu raison d’avoir confiance en moi ; je l’admire plus dans cette simple toilette que si elle était parée de châles du Thibet, de soie de Chine et de diamants de Golconde. J’aime tendrement cette jeune fille ; et je dis du fond de l’âme à l’élu de son cœur : l’engagement qui existe entre elle et vous a ma bénédiction. C’est une fortune précieuse que la pauvreté qu’elle vous apporte, et qu’elle a loyalement acceptée pour l’amour de vous et de la justice. »

La voix manqua au brave petit homme, qui donna la main à Rokesmith, et inclina la tête vers celle de sa fille. Mais ce ne fut pas pour longtemps ; il releva bientôt les yeux et dit d’un air enjoué.

« Maintenant, chère Bella, si tu veux bien tenir compagnie à John pendant une minute, je vais aller à la crémerie, lui chercher un petit pain et une tasse de lait ; nous prendrons le thé tous ensemble. »

Bien que le thé manquât, ce fut un repas délicieux, pareil à celui des trois lutins, moins l’alarmante découverte qui leur fit grommeler : « Quelqu’un a bu mon lait », le meilleur repas