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L’AMI COMMUN.

la permission d’épargner le vieux gentleman. Mais Fledgeby entendait qu’il fût exécuté.

« C’est pour moi un véritable chagrin, dit mister Riah, mais j’ai des ordres : il faut rembourser le billet.

— En bloc ? demanda Fledgeby.

— Et immédiatement, » répondit le vieillard.

Fledgeby regarda mister Twemlow en hochant la tête d’un air désolé, et parut sous-entendre : quel monstre que ce Juif ! « Mister Riah, » dit-il (le vieillard leva rapidement les yeux dans l’espoir de trouver sur la figure du maître le signe qu’il attendait, « je ne crois pas devoir le cacher, poursuivit Fledgeby, il y a derrière mister Twemlow un certain grand personnage ; vous le savez peut-être ?

— Oui, monsieur, dit le vieillard.

— Eh bien ! pour en finir, — je vous pose là une question sérieuse — êtes-vous réellement décidé à obtenir de ce noble personnage soit une signature, soit le rachat de votre créance.

— Très-décidé, monsieur, répondit le vieillard qui lisait clairement cette résolution sur le visage du maître.

— Sans vous inquiéter, ou plutôt, dit celui-ci, en vous réjouissant de l’esclandre qui en résultera, et qui brouillera sans doute mister Twemlow avec le susdit personnage ? »

Ces paroles n’exigeaient pas de réponse, et n’en reçurent aucune. Le pauvre Twemlow, qui éprouvait les plus vives angoisses depuis que son noble parent figurait dans le lointain, se leva en poussant un soupir. « Je vous remercie beaucoup, monsieur, dit-il à Fledgeby, en lui tendant sa main fiévreuse ; vous m’avez rendu un service que je ne méritais pas ; merci, monsieur, merci.

— Ne parlez pas de cela, répondit Fascination ; jusqu’à présent nous avons échoué ; mais je reste, et vais faire une nouvelle tentative.

— Ne vous abusez pas, dit le vieux Juif au pauvre Twemlow ; il n’y a pour vous aucun espoir ; on est sans pitié, ici. Il faut racheter votre créance, et le faire promptement ; ou vous aurez des frais considérables. Libérez-vous, monsieur ; ne comptez pas sur moi, et payez, payez, payez ! »

Après avoir dit ces mots avec force, il rendit le salut que, toujours poli, mister Twemlow venait de lui adresser ; et le bon petit vieillard, profondément abattu, prit congé de Fledgeby.

Tout cela avait mis Fascination tellement en gaieté, qu’après le départ du digne homme, il ne put faire qu’une chose : s’approcher de la fenêtre, s’y appuyer, et rire tout bas. Quand il se retourna, ayant repris son sérieux, il vit son juif toujours à la