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L’AMI COMMUN.

tinua Fascination ; j’ai même l’honneur d’être de votre famille. Un singulier endroit pour se retrouver ; mais quand on vient dans la Cité on ne sait jamais qui l’on rencontrera. J’espère que votre santé est bonne, et que vous avez toujours lieu d’être satisfait de la vie ? »

Il pouvait y avoir un grain d’impertinence dans ces dernières paroles ; à moins que ce ne fût le ton de Fledgeby quand il voulait être gracieux. Perché sur un tabouret, le pied droit sur une chaise, Fledgeby avait son chapeau sur la tête. Le doux vieillard s’était découvert en entrant, et depuis lors avait son chapeau à la main. Se rappelant sa démarche auprès de mister Podsnap, le consciencieux Twemlow souffrait de la présence de Fledgeby. Il était aussi mal à son aise que peut l’être un gentleman ; et se croyant obligé à une certaine roideur envers ce personnage qu’il avait desservi, non sans cause, il répondit à ses avances par un salut très-froid. Les petits yeux de Fledgeby se rétrécirent encore en notant cette froideur. Quant à miss Wren, toujours assise auprès de la porte, les mains croisées sur son panier, sa canne entre les mains, elle n’accordait nulle attention à ce qui se passait autour d’elle.

« Il est bien longtemps, murmura Fledgeby en regardant à sa montre. Quelle heure avez-vous, mister Twemlow ?

— Midi un quart, monsieur.

— Comme moi, à une minute près. J’espère que l’affaire qui vous amène ici est plus agréable que la mienne, mister Twemlow ? »

Le gentleman s’inclina. Les petits yeux de Fledgeby se rétrécirent plus que jamais, et regardèrent complaisamment Twemlow, qui frappait de petits coups sur la table avec une lettre fermée.

« Ce que je sais de mister Riah, poursuivit Fascination en affectant de nommer le Juif avec mépris, me fait supposer que les affaires qui se traitent dans cette boutique sont généralement désagréables. J’ai toujours trouvé ce nom-là au fond des poursuites les plus cruelles.

Mister Twemlow accueillit cette remarque par un salut glacial ; évidemment elle lui portait sur les nerfs.

« Un homme affreux, continua l’autre ; si ce n’était pas pour rendre service à un ami, je ne l’attendrais pas une seconde ; mais quand des amis sont dans l’adversité, il faut les secourir : telle est mon opinion. »

L’équitable Twemlow pensa qu’un pareil sentiment, abstraction faite de celui qui l’exprimait, devait être approuvé. « Vous avez raison, monsieur, dit-il avec chaleur. C’est ainsi que doit faire tout cœur noble et généreux.