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L’AMI COMMUN.

comme il n’y en a pas dans un million de millions. » En disant ces mots, profondément sentis, le pauvre Salop quitta la porte de l’église ; il retourna dans le cimetière, posa son front sur la fosse qui venait de se fermer, et pleura. « Ce n’est pas une pauvre tombe, dit le révérend Milvey en s’essuyant les yeux ; les statues de Westminster ont moins de prix que celle qu’on voit là en ce moment. »

Ils se gardèrent bien de troubler sa douleur, et franchirent la petite porte à claire-voie. Le bruit sourd de l’usine arrivait jusqu’à eux, et semblait adoucir l’éclat de ce jour d’hiver. Lizzie, qu’ils n’avaient fait qu’entrevoir, leur dit alors ce qu’elle pouvait ajouter à la lettre qu’elle avait écrite à mister Boffin, en lui renvoyant celle qu’il avait donnée à Betty. Elle raconta les derniers moments de l’honnête créature, dit comment elle avait obtenu de faire déposer l’humble corps dans ce magasin vide, frais et riant, où ils l’avaient pris pour le conduire à l’église ; et avec quel respect on avait exécuté les derniers vœux de la défunte.

« Je n’aurais pas pu le faire si j’avais été seule ; non pas faute de bonne volonté, dit la jeune fille ; mais sans notre directeur cela m’aurait été impossible.

— Votre directeur, alors, n’est pas ce Juif qui nous a reçus ? dit mistress Milvey.

— Et pourquoi pas, ma chère, demanda le révérend Franck entre parenthèses.

— Si, madame, répliqua Lizzie ; c’est bien notre directeur que vous avez vu ; il est vrai que lui et sa femme sont israélites ; c’est un israélite qui m’a placée chez eux ; et je ne crois pas qu’il y ait au monde de gens meilleurs.

— Mais s’ils cherchaient à vous convertir ? s’écria mistress Milvey dans tous ses états d’épouse de révérend.

— Chercher quoi, madame ? reprit Lizzie en souriant d’un air modeste.

— À vous faire changer de religion, » dit la chère petite femme.

Lizzie secoua la tête, « Ils ne m’ont pas demandé quelle était ma religion, dit-elle en souriant ; mais ce qui m’était arrivé. Je leur ai dit mon histoire ; ils m’ont recommandé d’être laborieuse ; je leur en ai fait la promesse. Ils remplissent bravement leurs devoirs à notre égard ; et nous tous, qui travaillons ici, nous tâchons de faire le nôtre envers eux. Quand je dis leur devoir, ils font mieux que cela, car ils s’occupent de nous.

— On voit qu’ils vous protégent, dit mistress Milvey, assez mécontente.

— Je ne le nie pas, ce serait de l’ingratitude, répliqua Lizzie ; ils m’ont donné récemment une place de confiance ; mais cela